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Faut-il snober le snob ?


Le snob aime paraître éclectique . Il ne prend pas grand chose au sérieux. D'ailleurs le snob préfère concentrer toute son intelligence sur des conneries plutôt que de mobiliser toute sa connerie sur des choses intelligentes. Sa patience a des limites... mais il ne faut pas exagérer. Il ne connaît aucune blague belge. Il est extrêmement prétentieux.
Bref, le snob est coupable.
19 avril 2020 7 19 /04 /avril /2020 23:40
« L’épigramme contre Staline », d’Ossip Mandelstam (1933)

 

TRAVAUX PRATIQUES

PREMIÈRE PARTIE DE LA TRADUCTION COMMENTÉE

 

 

Traduction DIY pas à pas 1/3


 

Faire sa propre traduction d’un texte permet avant tout de mieux le comprendre d’un point de vue littéraire, c’est un travail à la confluence de la linguistique et de la littérature.

Voici un pas à pas réalisé par mes soins. C’est une traduction commentée où j’explique le sens du texte, vous livre mes réflexions, mes hésitations et enfin le fruit de mes choix. Comme c’est aussi un défi personnel, j’ai choisi un poème en russe très difficile à traduire : "l'Épigramme contre Staline" d'Ossip Mandelstam.

 

Présentation du poème et traduction finale.


 

Comment faire ?

Vous trouverez les informations concernant le nécessaire ainsi qu'un aperçu des principes de base d'une traduction ICI.

 

On se rappellera que c’est un exercice dont l’objectif est de mieux lire et comprendre un texte littéraire, qu’on ne va pas nécessairement publier notre traduction ! La traduction est un métier très exigent, trop souvent sous-estimé, et je ne prétends en aucun cas pouvoir rivaliser avec les grand-e-s traducteur-trice-s. Faire cet exercice permet justement de se rendre compte du travail colossal qu’il y a derrière une (bonne) traduction.

 


 

On se souvient aussitôt du montagnard du Kremlin

 

 

Мы живем, под собою не чуя страны,
Наши речи за десять шагов не слышны,


 

Traduction littérale :

Traduction d’Henri Abril (Circé)

Nous vivons, en-dessous (de nous) nous ne sentons pas le pays

Nos discours à dix pas ne sont pas audibles

Nous vivons sans sentir sous nos pieds le pays,

À dix pas nos paroles se sont évanouies,

Traduction de François Kérel (Poésie / Gallimard)

Traduction d’Henri Deluy

Nous vivons sans sentir sous nos pieds de pays,

Et l’on ne parle plus que dans un chuchotis,

Nous vivons. Le pays sous nos pieds se dérobe. 
Nos paroles, à deux pas, deviennent inaudibles, 


 

Dans cette première phrase, on bute sur une difficulté majeure. L’expression « ne pas sentir la terre au-dessous de nous (sous-entendu sous ses pieds) » signifie en russe qu’on ressent une menace, qu’on se méfie et qu’on cherche à se rendre invisible : à ne plus toucher terre. Mandelstam fait en outre un jeu de mots à partir de l’expression, en remplaçant « terre »(землю, ziémliou) par « pays » (страны, ctrany), ce qui donne une dimension politique à la métaphore = On vit en se méfiant, le pays est devenu une menace. Traduire cette expression mot à mot la rend incompréhensible, ou invite à faire une interprétation erronée, puisque l’expression « ne plus toucher terre » existe en français et signifie tout autre chose (=ne plus ressentir la réalité).

 

D’ailleurs, le verbe Чуять (Tchouiat’), signifie « sentir » dans le sens de flairer ou de pressentir (avoir un pressentiment). Ici il faut plutôt faire ressortir l’idée que l’on ne connaît pas (ou plus) notre environnement, qu’il faut marcher prudemment. [Il existe par ailleurs l’expression Сквозь землю провалиться (Ckvoz’ ziémliou pravalitsia) « passer à travers la terre », qui signifie disparaître sans laisser de traces.]

 

Maintenir la virgule après Мы живëм [(My jyviom), nous vivons], pause séparant deux propositions juxtaposées, est un choix que font peu de traducteurs (Henri Deluy est un des rares à le faire). Je la trouve néanmoins essentielle au rythme prosodique de ces premiers vers puisqu’il faut marquer un petit arrêt à l’oral. Pour ce qui est du sens, ce détachement met en relief ces mots simples en apparence (nous vivons), les colorant d’une nuance de doute déterminante (vivons-nous vraiment ?)*.

 

À cette période on craint les dénonciations des passants, des voisins, et même de ses propres enfants. Ce qui explique qu’on parle très doucement, pour que nos propos ne soient pas entendus à dix pas. Pour ce deuxième vers, j’opte pour une traduction littérale mais remue légèrement l’ordre des groupes syntaxiques de la phrase.


 

* Faites le test : dans Google, tapez les mots « Мы живëм » et laissez le moteur de recherche suggérer la suite. Tout de suite après le vers de Mandelstam, on obtient : « мы живем в матрице », nous vivons dans la Matrice (#Matrix). La nuance de doute est toujours là…


 

Proposition :

Nous vivons, suspendus, nous méfiant du pays,

À dix pas nul n’entend nos paroles assourdies


 


 

А где хватит на полразговорца,
Там припомнят кремлёвского горца.


 

Traduction littérale :

Traduction de François Kérel (poésie / Gallimard)

Et où suffit une moitié de conversation

Là ils se rappellent du Kremlin le montagnard

Si jamais l’on rencontre l’ombre d’un bavard

On parle du Kremlin et du fier montagnard

Traduction de Henri Abril (Circé)

Traduction d’Henri Deluy

Et si quelques mots quand même se forment,

C’est le montagnard du Kremlin qu’ils nomment.

Et si quelques mots sont assez pour un bref bavardage, 
On se souvient aussitôt du montagnard du Kremlin. 


 

Le sens général est que : partout où l’on parle, et quoiqu’on dise, il faut tenir compte de celui qui vient de la montagne et qui vit au Kremlin, une manière indirecte, périphrastique mais complètement évidente, de désigner Staline.

 

Les полразговорца (Po’lrazgavortsa) « moitiés de propos » ne peuvent pas être traduites par « demi-mot », qui a un sens précis en français, synonyme de sous-entendu, qui laisserait penser qu’il s’agit de critiques non exprimées. Il s’agit plutôt de paroles de peu d’importance, qui ne contiennent justement rien de spécial, des propos anodins ou de « menus propos », avec une nuance péjorative.

 

Un lien logique fort unit les deux vers du distique. Littéralement : А где (a gdiè) et là où il n’y a même pas la moitié d’une conversation… Там (Tam) là ils se souviennent...

 

припомнят (pripomniat) : « Ils se rappellent », c’est à dire retiennent contre toi tes anciennes paroles, ce verbe, tel qu’il est utilisé ici, est toujours associé à l’idée d’une faute passée. Deux interprétations sont possibles :

 

1 - Dès que tu ouvres la bouche, même pour ne rien dire, ils (les personnes qui t’écoutent parler) se souviennent bien que naguère tu parlas de Staline, ils te soupçonnent d’être capable d’en parler encore, et tes paroles leur font peur car le risque est trop grand. Ils retiennent contre toi (tu = Mandelstam) = censure active.

 

2 - Toute personne qui commence à parler, même pour dire quelque chose qui n’a pas d’importance, a peur de commettre un impair et se sent coupable de, peut-être, donner l’impression de parler du « montagnard du Kremlin ». On se demande si on est coupable (Tournure impersonnelle) = autocensure.

 

Certains traducteurs font des mots eux-mêmes les censeurs qui rappellent l’existence de Staline (Henri Abril), ou pire quelque part, qui parlent de Staline (François Kérel). Il ne peut s’agir que d’un contresens : on ne parle surtout pas de Staline ! Le rappel de Staline est complètement sous-entendu car, chacun pouvant se révéler un dénonciateur pour l’autre, les interlocuteurs surveillent les propos tenus par autrui (et se surveillent eux-mêmes). L’idée que je préfère faire ressortir, la plus logique au fond, est que la 3ème personne du pluriel dans « ils rappellent » désigne tout interlocuteur qui entend ou prononce les moindres paroles. Je pourrais rendre cette idée par une tournure impersonnelle.

 

 

 

Venons-en à l’expression qui désigne Staline : кремлёвского горца (Kriemliovskavo gortsa). Le montagnard (du Kremlin) fait référence aux origines géorgiennes de Staline, qui venait du Caucase, et donc de la montagne. Notons que le terme russe utilisé, гориц (Gorits’), désigne par défaut le montagnard du Caucase (il existe d’autres mots pour parler des montagnards en général). C'est Mikhaïl Lermontov, qui fit son service militaire dans le Caucase et fut fort inspiré par cette expérience (au point qu’on l’a appelé le poète du Caucase), qui a utilisé partout ce terme pour désigner les habitants de la région. Le terme est depuis resté associé à cette acception, et c’est automatiquement ce sens de "habitant du Caucase" qui est entendu dans cette expression. Or, en français on ne peut dire « le caucasien », sans rappeler les descriptifs policiers (où caucasien=blanc), donc à éviter… on doit maintenir ce « montagnard » étrange.


 

Proposition :

et il suffit d’un propos des plus anodins

pour qu'on vous rappelle le montagnard du Kremlin


 

[J’en profite pour noter que Mandelstam montrait une certaine obsession à rappeler les origines géorgiennes de Staline : il le fait deux fois dans ce poème et on trouve différentes allusions ailleurs dans sa poésie. Une insistance qui pose question. Mais mettons les pieds dans le plat : pourrait-ce être l’expression d’un racisme grand-russe, culturellement très répandu (nonobstant son origine juive et sachant qu’il a dû se faire baptiser pour accéder à l’université, en raison du trop petit nombre de places ouvertes aux Juifs) ?

 

D’un autre côté, on sait qu’il voue au Caucase une fascination poétique, au point qu’il en fait le berceau d’un nouvel hellénisme. Placerait-il ironiquement Staline dans la filiation des dieux antiques, comme il a tendance à le faire dans son « Ode à Staline » (1937, voir dans la 3ème partie de cette traduction commentée) ?

 

On peut aussi faire l’hypothèse qu’il insiste sur les origines géorgiennes de Staline précisément parce que celui-ci a trahi la Géorgie, en forçant le pays à intégrer la politique grand-russe d’une fusion avec l’union soviétique (cf. l’affaire géorgienne, 1922-23).

 

Il est même possible que ces trois explications ne s’excluent pas l’une l’autre, et convergent au contraire.]


 

 


 

Его толстые пальцы, как черви, жирны,
А слова, как пудовые гири, верны,


 

Traduction littérale :

Traduction d’Henri Deluy

Ses doigts sont épais, comme des vers, gras

Et ses paroles, comme des poids d’un poud, infaillibles.

Les doigts sont des vers, gras et bouffis ; 
Les mots sont précis comme des blocs de métal ; 

Traduction de Henri Abril (Circé)

Traduction de Jean-Claude Schneider (Le Bruit du Temps/La Dogana)

Ses doigts, comme des vers, sont très gras et épais,

Et ses mots de cent pouds ne vous ratent jamais,

Ses doigts sont gras comme des vers de terre,

Ses mots infaillibles comme des poids d’un pound.


 

Le premier vers comporte des mots peu ambivalents, avec un contexte d’utilisation transparent qui n’invite à aucun sous-entendu, j’opte pour une traduction littérale. Notons juste que la comparaison avec les vers est souvent utilisée dans la littérature pour donner une image repoussante d’une personne.

 

 

1933 : une rencontre entre Staline et la délégation des travailleurs d'un kolkhose

 

 

La structure de ce distique est parallèle, avec une comparaison qui intervient au milieu de chaque vers, créant une rupture emphatique. Chaque vers se termine par un adjectif de deux syllabes. Je voudrais essayer de conserver ce parallélisme de construction.

 

Je veux aussi conserver la notion de poids comme unités de mesure de l’expression « пудовые гири (Poudovyé Guiri), littéralement des poids de la valeur d’un poud (soit 16,38 kg). Ces poids font foi sur la balance, on ne peut les contester.

 

Notons au passage la polysémie de l’adjectif верны (Vierny) « incontestable » qui signifie le plus souvent « fidèle », mais aussi « juste », ou encore « certain » (comme dans l’expression « une mort certaine »). La combinaison avec la notion de poids comme unités de mesure, tire le sens de l’adjectif vers l’infaillibilité. Mais on ne peut s’empêcher de lire de manière subliminale, l’équivalent russe de l’expression tenir parole : « ses mots sont fidèles ». En effet, sont présents dans le même vers : « слова » (slova, les mots) et « верны » (Vierny, cette fois dans le sens de ‘fidèles’). Ce qui laisse entendre à demi-mot que la parole de Staline a un pouvoir exécutoire.


 

Proposition :

Épais ses doigts, comme des vers gras

Infaillibles, ses paroles, comme des poids


 

Suite de la traduction commentée ICI

Traduction complète ICI

 

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19 avril 2020 7 19 /04 /avril /2020 23:35

 

 

 

« L’épigramme contre Staline », d’Ossip Mandelstam (1933)

TRAVAUX PRATIQUES

DEUXIÈME PARTIE DE LA TRADUCTION COMMENTÉE

 

Présentation du poème et traduction complète

Première partie de la traduction commentée

 

Traduction DIY pas à pas 2/3

 

 

 

(Eго) Тараканьи смеются усища
И сияют его голенища.


 

Traduction littérale :

Traduction d’Henri Deluy

(il a) du cafard, elles rient, les grosses moustaches

et brillent ses tiges de bottes

Ses bacchantes de cafard grossier rient 
Et les tiges de ses bottes reluisent. 

Traduction de Jean-Claude Schneider (Le Bruit du Temps/La Dogana)

Traduction de Henri Abril (Circé)

Parmi ses moustaches ricanent des cafards

et les tiges de ses bottes sont des miroirs.

Ses moustaches de cafard semblent rire,

Et brillent ses bottes de tout leur cuir.


 

Le portrait dépréciatif de Staline se poursuit avec, après les asticots, la métaphore très péjorative du cafard, « Таракан » (Tarakan’).

 

Le portrait un peu fantastique tient beaucoup de la comptine faussement naïve ou du conte rimé pour enfants. On reconnaît bien là une des constantes du petit conte rimé, pour décrire un personnage en quelques détails remarquables : les doigts, la moustache et les bottes.

 

Dans les années 1920, Mandelstam s’est d’ailleurs consacré à la traduction et à l’écriture d’œuvres de littérature pour la jeunesse.

 

 

Couverture du livre de Korneï TCHOUKOVSKI, Le Cafard,

avec les Illustrations de Vladimir KONACHEVITCH (édition de 1935).

 

 

On pense très vite aux apologues de Kornéï Tchoukovski, notamment ce conte pour enfants en vers, écrit en 1923 dont le personnage-titre est un cafard.

 

 

En voici le résumé : les animaux d’une contrée voient arriver un jour un cafard, qui leur fait peur car l’ombre qu’il projette le grandit. Ils remarquent surtout ses moustaches terrifiantes (grosse insistance sur les moustaches) et le prennent pour un géant. Tous tremblent de peur et bientôt le cafard s’enhardit, devient leur tyran, exige les enfants des animaux pour les manger.

 

Soudain apparaît... un géant effrayant, rouge et moustachu : un ca-fard !

Un cafard, un cafard, un très-Cafard !

Il grogne, il hurle

Et remue sa moustache !

 

 

Un kangourou leur dit qu’il ne s’agit que d’un cafard et que, tous ensemble, ils peuvent le renverser, mais personne ne bouge et le kangourou est chassé par les autres animaux qui craignent des représailles. Arrive alors en volant, un moineau, qui se pose près du cafard et l’avale pour son déjeuner. C’est aussitôt la liesse générale. Le moineau est fêté par les animaux qui peuvent rire et se moquer du cafard disparu. Nous sommes en 1923. Cet apologue symbolique est un des nombreux appels à la responsabilisation des peuples face à la montée des dictatures.

 

 

Dix ans après, Mandelstam fait peut-être référence à ce petit conte, à la fois par la musique des vers, leur rythme et évidemment par son thème. Les deux écrivains se connaissaient d’ailleurs très bien.

 

 

 

Mandelstam, Tchoukovski, Livshits et Annenkov en 1914.

 

Усища (Oussychia) ne désigne pas des moustaches ordinaires, mais des moustaches immenses, superlatives. Comme elles sont associées au cafard, on peut aussi penser à ses antennes.

Le possessif est absent mais peut être sous-entendu (je l’ai restitué dans la version de travail, avec le mot « Eго » (Iévo) entre parenthèses, voir ci-dessus). Cependant je ne l’ai pas marqué dans ma traduction définitive car il était déjà bien présent dans le vers suivant.

 

Смеются (smieioutc’ia) : elles rient aux éclats, elles ricanent, elles narguent, elles se moquent. Le mot est polysémique mais sa nuance est plutôt péjorative. On ne peut se contenter du verbe rire, qui en français n’a pas cette connotation systématique, sous peine de sous-traduire l’idée.

 

Les bottes rutilantes sont bien sûr une allusion à la dimension militaire de Staline, qu’on ne voyait jamais sans ses bottes de soldat, bien entretenues. Les tiges désignent la partie montante des bottes.


 

Proposition :

Du cafard les grandes moustaches vous méprisent,

Et les tiges de ses grandes bottes reluisent.

 

Suite de la traduction commentée ICI.

 

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19 avril 2020 7 19 /04 /avril /2020 23:30
Traduire « L’épigramme contre Staline », d’Ossip Mandelstam (1933)

 

TRAVAUX PRATIQUES

TROISIÈME PARTIE DE LA TRADUCTION COMMENTÉE


 

"Celui qui a soulevé les douloureuses paupières du siècle, —
Deux grosses pommes dormantes —
Entendra à jamais hurler les torrents
Des temps mensongers et sourds. "
(Ossip Mandelstam)

[Tableau d'Isaak Brodsky]

 

 

Présentation du poème et traduction complète

PREMIÈRE PARTIE de la traduction commentée

DEUXIÈME PARTIE de la traduction commentée


 

 

А вокруг него сброд тонкошеих вождей,
Он играет услугами полулюдей.


 

Traduction littérale :

Traduction d’Henri Deluy

Et autour de lui toute une racaille de leaders aux cous grêles,

Lui s’amuse des services de ces demi-hommes

Tout autour, les nuques fragiles des petits chefs ; 
Lui, il se joue de leurs misérables courbettes ; 

Traduction de Jean-Claude Schneider (Le Bruit du Temps/La Dogana)

Traduction de François Kérel (Poésie / Gallimard)

L’entoure une racaille de chefs aux cous frêles,

sous-hommes dont il use comme de jouets.

Les chefs grouillent autour de lui – la nuque frêle.

Lui, parmi ces nabots, se joue de tant de zèle.


 

сброд вождей (Sbrod Vajdiéï) « la racaille des leaders » désigne tous les collaborateurs de Staline, membres du politburo, gouverneurs… un terme méprisant et très péjoratif qui rappelle leur passé de délinquant (ainsi que celui de Staline, par homme de main interposé !).

 

Les тонкошеих (Tonkachéikh), les « minces de cou », caractérisent des hommes dans l’idée qu’ils ne sont pas assez virils, ou encore adolescents, par rapport à Staline qui les domine. L’expression littérale ne rend rien en français, mais on peut solliciter l’idée des épaules « trop étroites » pour endosser des responsabilités.

 

Он играет (On Igraïét), il joue, s’amuse. Anecdote dont Mandelstam a pu avoir connaissance et à laquelle il pensait peut-être en écrivant ces vers : des témoins ont rapporté que, dans les années 1930, lorsque Staline demandait à Khrouchtchev de danser (dans quelles circonstances? lorsqu’il le conviait pour des rencontres informelles dans sa datcha ?), celui-ci n’hésitait pas à exécuter une danse ukrainienne, ce qui amusait beaucoup le premier secrétaire du Parti.

 

Cependant, rendre l’expression de полулюдей (Polou-lioudiéï), demi-personnes, homoncules, par « sous-hommes » (Henri Abril, Jean-Claude Schneider) me semble sur-traduit : on ne leur dénie pas leur humanité, seulement leur caractère d’autorité. Mon choix se porte sur l’expression un peu triviale de « demi-portions », qui est péjoratif mais pas déshumanisant, pour rendre cette idée de manque de virilité (apparemment une autre obsession de Mandelstam).


 

Proposition :

Autour de lui des racailles sans épaules s’établissent,

Demi-portions dont il joue et emploie les services,


 


 


 

Кто свистит, кто мяучит, кто хнычет,
Он один лишь бабачит и тычет,


 

Traduction littérale :

Traduction de Jean-Claude Schneider (Le Bruit du Temps/La Dogana)

qui siffle, qui miaule, qui pleurniche,

lui seul seulement ordonne et pointe du doigt

Un qui siffle, un autre qui miaule, un qui pleurniche,

lui seul s’amuse en père fouettard et tutoie.

Traduction d’Henri Deluy

Traduction d'Élisabeth Mouradian et Serge Venturini (Wikipédia)

L’un siffle, l’autre miaule, un autre encore pleurniche ; 
Seul, il exige et, seul, il décrète ; 

L’un siffle, l’autre miaule, un autre gémit,
Il n’y a que lui qui désigne et punit.


 

De ces deux vers le premier adopte un rythme ternaire qu’il est facile de conserver.

 

Dans le deuxième, le verbe бабачит (babatch’it) est un néologisme à structure populaire (avec dédoublement de syllabe), expression un peu relâchée parfois traduite par « tutoyer », dans l’idée de donner brutalement des ordres à des inférieurs, comme un maître envers ses serviteurs.

 

Тычет (Tytchiet’) peut signifier qu’il pointe, met le doigt sur quelque chose, ou met le point final (décide). Il peut aussi avoir le sens de : tutoyer tout le monde en supérieur (Ты = tu), là où il faudrait vouvoyer.

 

Он один лишь (On adin’ lich’), lui seul seulement : on note l’insistance sur le pouvoir exclusif de Staline. L’opposition avec les petits chefs est aisée à mettre en valeur : utiliser un pronom démonstratif dépersonnalisant pour caractériser les actions vaines des collaborateurs de Staline, et un pronom personnel sujet le concernant. Je marque l’insistance en redoublant la marque d’exclusivité.


 

Proposition :

Ça siffle, ça miaule ou ça ronchonne,

Mais lui seul tutoie et lui seul ordonne.


 


 

Как подкову, кует за указом указ:

Кому в пах, кому в лоб, кому в бровь, кому в глаз.


 

Traduction littérale :

Traduction de François Kérel (Poésie / Gallimard)

Comme un fer à cheval, il forge décret par décret ;

à qui dans l’aine, à qui au front, à qui au sourcil, à qui dans l’œil

Il forge des chaînes, décret après décret…

Dans les yeux, dans le front, le ventre et le portrait.

Traduction d’Henri Deluy

Traduction de Jean-Claude Schneider (Le Bruit du Temps/La Dogana)

Comme des fers, il forge oukase sur oukase, 
Il vise les parties, la tête, les sourcils, 

Il forge, comme un fer à cheval, ses oukases -

frappe, qui à l’aine, qui au front, qui à l’œil.


 

Nous retrouvons Staline en forgeron des campagnes russes, forgeant l’emblématique fer à cheval. « Forger comme un fer à cheval », c’est à dire rapidement, à la chaîne, sans finasser. Il promulgue donc décret sur décret et, sous-entendu, il les lance, car au vers suivant on a une énumération des cibles sur lesquelles il exerce son adresse.

 

Joseph Staline jouant au gorodki, un jeu d'adresse traditionnel.

 

Staline lance ses fers в пах (v’ pakh) : « à l’aine », un euphémisme pour parler de l’entre-jambes, des « parties », et в лоб (v’ lob) : « au front », une image du travail intellectuel ou artistique. в бровь (v’ brof’) dans le sourcil et в глаз (v glas’) dans l’œil. Les quatre destinations sont chaque fois précédées de la déclinaison du pronom Kto, qui/quelqu'un, en Кому (kamou), à qui/à quelqu'un, qui suggère que chacun est brutalement atteint par ces nouvelles règles. Le rythme particulier du deuxième vers, qui présente une accumulation d’expressions au rythme ternaire, séparées par des virgules, est assez marqué et correspond visiblement à un choix stylistique.

 

Cependant en russe, l’expression « atteindre l’œil et le sourcil » est idiomatique et signifie que l’on vise avec une grande précision, l’équivalent de ’pile dans le mille !’ en français, si vous voulez. J’hésite donc à traduire littéralement cette partie du vers, même si elle participe au rythme dans le texte original, sous peine de perdre cette idée importante.


 

Proposition :

Il forge, comme fers à cheval, décret sur décret,

Au bas-ventre ou au front : il sait si bien viser


 


 


 

Что ни казнь у него - то малина
И широкая грудь осетина.


 

Traduction littérale :

Traduction de Jean-Claude Schneider (Le Bruit du Temps/La Dogana)

S’il n’y a pas de mise à mort (sanction), pour lui c’est framboise

et large torse d’Ossète

Toute mise à mort est pour lui délectation

et fait se dilater sa poitrine d’Ossète. »

Traduction d’Henri Deluy

Traduction d'Élisabeth Mouradian et Serge Venturini (Wikipédia)

Tout supplice est un régal, une framboise, 
Pour sa lourde poitrine d’Ossète.

Pour lui, ce qui n’est pas une exécution, est une fête.
Ainsi comme elle est large la poitrine de l’Ossète.


 


 

La tournure logique Что ни… - то… (Chto ni… to…) peut se traduire par une implicature logique à quantificateur universel : x(¬Ax => Bx). Pour toute chose, si elle n’est pas A alors elle est B : tout ce qui n’est pas A est forcément B.

 

малина (Malina), la framboise, a le sens figuré de chose agréable, plaisante, et, ce qui est moins connu, désigne aussi la délinquance, le crime organisé. Ce qui me ferait comprendre ce vers ainsi : si la mise à mort n’est pas obtenue légalement, alors elle le sera par le crime. S’il ne condamne pas à mort, alors il assassine. у него (ou niévo) « chez lui », quand ce n’est pas une mise à mort, c’est une action criminelle.

 

Le deuxième vers a une tournure elliptique : И широкая грудь осетина (I chirokaya groud’ assiétina) « et large torse d’ossète ») qu’il faut bien sûr adapter à la langue française. Il y a derrière cette ellipse, l’idée qu’il bombe le torse, qu’il fait le fier.

 

« Ossète » : Staline n’était pas Ossète (peuple indo-européen du Caucase), mais Géorgien – quoique l’Ossétie du sud a fait un temps partie de la Géorgie. D’après Henri Abril (un des traducteurs), le nom véritable de Staline, Djougachvili, aurait une étymologie indo-européenne. Or le géorgien n’est pas une langue indo-européenne, tandis que la langue ossète l’est. Notons qu’on trouve aussi une autre étymologie pour le nom de famille Djougachvili. Celui-ci viendrait d'un vieux mot géorgien, "dzhuga", qui signifierait "acier" (en russe "Stal").

 

On sent surtout que Mandelstam insiste sur le fait que Staline n’est pas Russe… c’est comme s’il nous disait : Staline n’est pas Russe, il est Géorgien, et encore, même pas Géorgien, Ossète… C’est une insistance bien intrigante. Il est tout aussi curieux qu’il associe la largeur de poitrine (une autre image de la virilité ?) aux origines caucasiennes de Staline. Il est vrai que l’imagerie de propagande tend à surdimensionner la largeur d’épaules de Staline, si on la compare aux photographies (en fait, tout le personnage est surdimensionné), à lui accorder une large place dans la composition des affiches à message.


 

Proposition :

Ce qui n’est pas mise à mort – est ruse de truand,

Et son poitrail d’Ossète n’en est que plus grand.


 


 

Je ne peux me priver de mentionner ce topos littéraire (et politique) courant qui consiste à s’empêcher de nommer son ennemi autrement que par des épithètes homériques (ou non), par des périphrases. Ainsi Vladimir Poutine ne prononce jamais le nom de son principal opposant, Alexeï Navalny.

 

Ce n’est pas souvent rappelé car cela entache un peu le mythe du poète en lutte contre le pouvoir oppressif, mais Mandelstam a écrit quelques années après l'épigramme, en 1937, une « ode à Staline », qui fait l’éloge hyperbolique du chef de l’Union soviétique. Elle est si exagérée, par ses images excessives si dévotes à l’esprit du genre épidictique, qu’elle en devient (involontairement ?) ironique.

 

Prenons par exemple, dans l’avant dernière strophe, l’image de Staline qui réforme l’agronomie du pays « Il sourit comme quelqu’un qui moissonne / Depuis le soc géant jusqu’aux sillons solaires » : géant tout puissant ou image de la mort ? On peut y voir de l’obséquiosité insistante… ou de l’ironie (ou les deux ensemble… Mandelstam était banni socialement depuis si longtemps et la propagande frappait si dur, qu’on pourrait le comprendre de s’être par moments mis à douter de ses propres idées).

 

L’ode semble aussi dans certains vers dénoncer, à demi-mots, le culte de la personnalité (« Je le vois sans cesse, en manteau, en casquette, sur la place prodigieuse, les yeux brillants de joie »), on peut comprendre que Staline est toujours dans les pensées de Mandelstam (sens littéral) ou alors qu’il est littéralement partout, sous la forme de son portrait de propagande.

 

Dans le vers où il dit de Staline : « Ouïe perçante, de la sourdine se défiant », on peut imaginer que derrière le compliment se dissimule une critique de la paranoïa du dictateur. Il a l’oreille fine et se méfie de ceux qui parlent tout bas (à rapprocher des vers 1 à 4 de l’Épigramme).

 

Et rien à faire, hein… dès la deuxième strophe de l’Ode, Mandelstam insiste pour appeler Staline par son nom d’origine :« Je voudrais le nommer – pas Staline : Djougachvili ». Dans le sens contextuel de la strophe, on comprend que, comme lui, Staline a été prisonnier et a connu la misère, il le reconnaît donc pour un frère, c’est pourquoi il voudrait lui donner un nom plus fraternel, plus proche, pas ce surnom de « l’homme d’acier », mais son nom de naissance géorgien. Il ne veut pas le nommer mais il le fait : il y a prétérition !

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12 mai 2018 6 12 /05 /mai /2018 17:25

(Couverture travestie par Clémentine Mélois)

 

"Le Vallon", d'Alphonse de Lamartine, dans les Méditations (1820).

On ne lit plus vraiment Alphonse de Lamartine. On se demande bien pourquoi. Avez-vous comme moi l’impression que le poète manque parfois de concision ?

Lisons (ou relisons) ensemble « le Vallon » extrait des Méditations poétiques (1820) pour débusquer les obstacles qui se dressent obstinément face à notre béatitude.

Non, je ne vais pas faire un commentaire de texte, il y a bien longtemps que je ne sais plus les faire, enfin si, mais pas pour les écoliers (quittez tout de suite cet endroit si vous êtes venus y trouver un commentaire composé tout ficelé et tout cuit!).

 

Mon cœur, lassé de tout, même de l’espérance,

N’ira plus de ses vœux importuner le sort;

Prêtez-moi seulement, vallon de mon enfance,

Un asile d’un jour pour attendre la mort.

 

Le premier vers de ce quatrain est particulièrement bien balancé, avec une structure rythmique progressive, qu’on appelle cadence majeure, et une belle allitération en s imitant le soupir de lassitude.

On peut dire que souvent les vers d’accroche d’Alphonse sont assez réussis, ce sont des tubes. On les retient bien. C’est la suite qui déconne déçoit…

La suite est malheureusement en dessous de ce qu’on pourrait attendre, même si le dernier vers nous conduit à « la mort ». Le deuxième vers est très convenu, avec une inversion, d’inspiration classique, et l’utilisation de deux mots du lexique spirituel (vœu et sort). Le poète revient chez lui (« vallon de mon enfance ») après avoir couru le monde, pour y mourir.

Remarquons la fermeture mi-logique de ce quatrain #je-n’attends-plus-rien par l’expression « attendre la mort » (ah ah, il attend donc bien quelque chose !), à propos de laquelle je note quand même une certaine impatience de la part du poète-épuisé-de-la-vie, puisqu’il n’a prévu d’attendre la mort qu’ « un jour » seulement…

 

Voici l’étroit sentier de l’obscure vallée :

Du flanc de ces coteaux pendent des bois épais

Qui, courbant sur mon front leur ombre entremêlée,

Me couvrent tout entier de silence et de paix.

 

Pas de bol pour ma démonstration, ce quatrain n’est pas si mal fichu, en fait, mis à part une lourdeur au début avec deux adjectifs antéposés et pleins de « r » (étRoit sentier / obscuRe vallée). Il évoque l’ensevelissement du poète dans la préfiguration végétale d’un tumulus naturel de branches et d’ombre, à la fois asile et tombeau.

Les sonorités ouvertes et plutôt classiques, dans le sens où elles favorisent la belle élocution, en font un quatrain qui n’est pas d’emblée romantique. C’est dans la signification du texte que l’on doit chercher le mouvement psychologique qui rend le paysage à l’image de l’âme du poète.

Dans un mouvement descendant, les bois « pendent, puis « courbent » et « couvrent » (avec une presque-paronomase). La fin des vers est vouée à l’obscurité et au secret. Comme le précédent, ce quatrain se termine par un mot-clé d’une syllabe : paix.

 

Là, deux ruisseaux cachés sous des ponts de verdure

Tracent en serpentant les contours du vallon;

Ils mêlent un moment leur onde et leur murmure,

Et non loin de leur source ils se perdent sans nom.

 

La Nâture se fait calligraphe avec le tracé sinueux de deux cours d’eau, qui vient structurer une cartographie des lieux de l’enfance du poète.

Le troisième vers de la strophe est une pure merveille, tant par l’idée que par le jeu des sonorités. Oui, il est comme ça Lamartine. Des fois il vous surprend*. On comprend facilement que le son du ruisseau est audible par le poète à l’endroit où il le croise, puis de loin en loin, il ne fait plus que le voir sans l’entendre.

La vision de cette eau courante est elle-même bornée par le paysage, puisque les ruisseaux sont d’abord « cachés », puis ils « se perdent ». Le dernier vers, sans être très énigmatique, évoque la brièveté de la vie et la vanité des espoirs de gloire (« non loin de leur source ils se perdent » / « ils se perdent sans nom »).

 

La source de mes jours comme eux s’est écoulée,

Elle a passé sans bruit, sans nom et sans retour :

Mais leur onde est limpide, et mon âme troublée

N’aura pas réfléchi les clartés d’un beau jour.

 

Les deux premiers vers alourdissent un peu l’image amorcée au quatrain précédent, la comparaison entre la vie du poète et les ruisseaux était déjà implicite, avec l’utilisation des mots signifiants (« source » et « nom »). Cela semble redondant.

Plus intéressant est le système de reprises qui fait répéter le mot « source » au vers 4 puis au vers 1 de la strophe suivante, avec bien évidemment une syllepse de sens – sous-entendue dans le premier, tout à fait explicite dans le second cas – (source : origine / début / ruisseau lui-même), et le mot « jour », au début et à la fin de la strophe, avec le sens de « vie », d’abord, puis de « journée » ensuite.

Il est intéressant de voir que Lamartine propose une comparaison tout à fait classique entre le cours d’eau et le cours de la vie (c’est très baroque, surtout), et qu’il en pose aussi les limites : «mais leur onde est limpide, et mon âme troublée… » n’aura pas su renvoyer la lumière qu’elle a reçue (ou qu’elle n’a pas reçue, justement). La comparaison échoue et le poète se retrouve de nouveau seul, aux prises avec le désespoir.

 

La fraîcheur de leurs lits, l’ombre qui les couronne,

M’enchaînent tout le jour sur les bords des ruisseaux;

Comme un enfant bercé par un chant monotone,

Mon âme s’assoupit au murmure des eaux.

 

Ah ! c’est là qu’entouré d’un rempart de verdure,

D’un horizon borné qui suffit à mes yeux,

J’aime à fixer mes pas, et, seul dans la nature,

À n’entendre que l’onde, à ne voir que les cieux.

 

Bon là on a à l’évidence un développement avec variations des thèmes précédemment posés (Alphie radote un peu) : les vallons de son enfance, l’horizon bouché par le vert et l’ombre, le murmure des ruisseaux, la solitude…

Son âme est en position fœtale dans un cocon de verdure et de silence aqueux ; Mère Nâture lui chante une berceuse…

avec des effets d’allitérations,

avec un très élégant dernier vers au mouvement final ascendant, puisqu’on gagne « les cieux ».

 

J’ai trop vu, trop senti, trop aimé dans ma vie,

Je viens chercher vivant le calme du Léthé;

Beaux lieux, soyez pour moi ces bords où l’on oublie

L’oubli seul désormais est ma félicité.

 

Deux vers moyens encadrent deux vers très beaux. C’est souvent l’impression que me laisse la lecture des vers de Lamartine : cinquante pour cent.

Le premier vers est faible : oh la la, la vie de bohème qu’il a dû mener ! Que d’excès ! Mais trop c’est trop.

Le dernier vers est même très faible, au regard des deux qui précèdent, avec son adverbe béquille (hop, c’est trois syllabes) au beau milieu. La preuve, j’aurais pu l’écrire !

Mais les vers 2 et 3 (surtout lui), quelle beauté ! Les ruisseaux sans nom de la 3ème strophe deviennent un fleuve infernal de renom, celui de l’Odyssée et des épopées antiques. « Je viens chercher vivant… » sonne comme une réécriture d’Orphée – mais avec un poète qui a renoncé à son amour – qui ne vient chercher que la paix de l’oubli.

 

Mon cœur est en repos, mon âme est en silence !

Le bruit lointain du monde expire en arrivant,

Comme un son éloigné qu’affaiblit la distance,

A l’oreille incertaine apporté par le vent.

 

Une strophe qui m’évoque (a posteriori) le poème de Verlaine depuis sa prison, sauf que l’isolement de Lamartine est volontaire. Le seul vers qui soit mémorable ici est le deuxième (le 3ème et le 4ème ne font que l’expliquer lourdement – on avait compris, merci!). Quant au parallélisme de construction du premier vers (si lourd que Victor Hugo ne l’aurait sans doute pas gardé), on a la triste impression qu’il est interchangeable.

 

(à suivre…)

Bien sûr que le poème est bien plus long : on vous a dit que c’était du Lamartine !

Seulement j’ai envie de faire un peu autre chose, alors je le laisse en plan, et je reprendrai cette passionnante analyse (si si) quand je pourrai. D’ici là, que le temps suspende son vol.

 

 

* On me souffle dans l’oreillette, que ce vers aurait pu être écrit par Tristan L’Hermite ou par Saint-Amant (Marc-Antoine Girard de). Du coup, oui…

 

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18 juin 2008 3 18 /06 /juin /2008 20:26




Av 127

"toute ma jeunesse,
Comme un essaim d'oiseaux (...)",
Musset, "Souvenir"




Lautréamont a fait de Musset, le « Gandin-Sans-Chemise-Intellectuelle », l’un des objets privilégiés de son entreprise de démystification esthétique. Il déplore que la fréquentation assidue de ce poète à « l’intelligence de deuxième ordre » soit imposée aux  collégiens, causant d’irrémédiables dommages intellectuels sur les « jeunes poètes dont la lèvre est humectée du lait maternel ».



Année après année, toute la scolarité de ces malheureux est accompagnée par la présence délétère du poète :




« (…) la première chose que font les professeurs de quatrième, quand ils apprennent à faire des vers latins à leurs élèves, (…) c'est de leur dévoiler par la pratique le nom d'Alfred de Musset. Je vous demande un peu, beaucoup ! »

 

«  Les professeurs de troisième, donc, donnent, dans leurs classes à traduire, en vers grecs, deux sanglants épisodes. Le premier, c'est la repoussante comparaison du pélican. Le deuxième, sera l'épouvantable catastrophe arrivée à un laboureur (…) »

 

« Un élève m'a raconté que son professeur de seconde avait donné à sa classe, jour par jour, ces deux charognes à traduire en vers hébreux. Ces plaies de la nature animale et humaine le rendirent malade pendant un mois, qu'il passa à l'infirmerie. ».

 




Un scandale ! Quel acharnement !!!




Les ravages que peuvent causer ces vers sont infâmes !! Il n’est pas étonnant dans ces conditions que les jeunes esprits se voient troublés par des rêves de persistance :

 


« [un élève] croyait voir une armée de pélicans qui s'abattaient sur sa poitrine, et la lui déchiraient. Ils s'envolaient ensuite vers une chaumière en flammes. Ils mangeaient la femme du laboureur et ses enfants. Le corps noirci de brûlures, le laboureur sortait de la maison, engageait avec les pélicans un combat atroce. Le tout se précipitait dans la chaumière, qui retombait en éboulements. De la masse soulevée des décombres - cela ne ratait jamais - il voyait sortir son professeur de seconde, tenant d'une main son cœur, de l'autre une feuille de papier où l'on déchiffrait, en traits de soufre, la comparaison du pélican et celle du laboureur, telles que Musset lui-même les a composées. »

 

Lautréamont, Poésies, I.




Je cite pour mémoire les deux poèmes incriminés :


(...)

Lorsque le laboureur, regagnant sa chaumière,         

Trouve le soir son champ rasé par le tonnerre, 

Il croit d’abord qu’un rêve a fasciné ses yeux, 

Et, doutant de lui-même, interroge les cieux. 

Partout la nuit est sombre, et la terre enflammée. 

Il cherche autour de lui la place accoutumée         

Où sa femme l’attend sur le seuil entr’ouvert; 

Il voit un peu de cendre au milieu d’un désert. 

Ses enfants demi-nus sortent de la bruyère, 

Et viennent lui conter comme leur pauvre mère 

Est morte sous le chaume avec des cris affreux;         

Mais maintenant au loin tout est silencieux. 

Le misérable écoute et comprend sa ruine. 

Il serre, désolé, ses fils sur sa poitrine; 

Il ne lui reste plus, s’il ne tend pas la main, 

Que la faim pour ce soir et la mort pour demain.         

Pas un sanglot ne sort de sa gorge oppressée; 

Muet et chancelant, sans force et sans pensée, 

Il s’assoit à l’écart,les yeux sur l’horizon, 

Et regardant s’enfuir sa moisson consumée, 

Dans les noirs tourbillons de l’épaisse fumée         

L’ivresse du malheur emporte sa raison.

 

(...)

 

Musset, Lettre à Lamartine

 

 

 

 

(…)

Lorsque le pélican, lassé d'un long voyage,

Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux,

Ses petits affamés courent sur le rivage

En le voyant au loin s'abattre sur les eaux.

Déjà, croyant saisir et partager leur proie,

Ils courent à leur père avec des cris de joie

En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux.

Lui, gagnant à pas lent une roche élevée,

De son aile pendante abritant sa couvée,

Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux.

Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte;

En vain il a des mers fouillé la profondeur;

L'océan était vide et la plage déserte;

Pour toute nourriture il apporte son cœur.

Sombre et silencieux, étendu sur la pierre,

Partageant à ses fils ses entrailles de père,

Dans son amour sublime il berce sa douleur;

Et, regardant couler sa sanglante mamelle,

Sur son festin de mort il s'affaisse et chancelle,

Ivre de volupté, de tendresse et d'horreur.

Mais parfois, au milieu du divin sacrifice,

Fatigué de mourir dans un trop long supplice,

Il craint que ses enfants ne le laissent vivant;

Alors il se soulève, ouvre son aile au vent,

Et, se frappant le cœur avec un cri sauvage,

Il pousse dans la nuit un si funèbre adieu,

Que les oiseaux des mers désertent le rivage,

Et que le voyageur attardé sur la plage,

Sentant passer la mort se recommande à Dieu.

(…)

 

 

Musset, Nuit de mai

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6 juin 2008 5 06 /06 /juin /2008 10:20



Dernière blague moscovite : c'est l'histoire de trois Russes...


Vous qui croyiez que l’eurovision de la chanson était une manifestation culturelle, qui croyiez qu’il s’agissait d’un concours où l’on devait élire la moins imbuvable des prestations musicales : dessillez vos yeux !

Ce concours n'en est pas un. C'est une grande opération annuelle de conciliation des nations européennes avec leurs voisins.

Le principe est simple : regarder les votes chaque année, permet de mesurer l'évolution des relations internationales.

 

Par exemple, le bilan de cette année a confirmé la volonté de rapprochement entre la Russie et les anciens pays de l'URSS, notamment dans la Transcaucasie. On note de nouveau des avancées diplomatiques tournées vers l'Ukraine, qui manifestement intéresse tout le monde. Nous pouvons en outre nous réjouir de la réconciliation affirmée entre les pays de l'ex-Yougoslavie et l'Albanie. Mais nous déplorons l'effondrement, décidément habituel, de la popularité de la France, de l'Allemagne et du Royaume-Uni. (Libre à vous d’analyser le reste des votes.) 




Ils n’étaient pas trop de trois pour nous faire tutoyer le sublime


La participation russe à ce grand rendez-vous de géostratégie soft a porté ses fruits puisque cette année, la Russie gagne le droit d'organiser la prochaine manifestation d'amitié entre les peuples. Tout avait été mis en place pour que l’on comprenne bien les enjeux de ce spectacle.

 

Observez le décor et ses flammes bleues de gaz domestique (bon sang ! cela peut-t-il avoir un rapport avec le fait que la Russie soit le plus important fournisseur de gaz naturel de l'Europe ?).


 

Méthane, butane, propane ?

Regardez à présent la deuxième partie du numéro : les choses se confirment (sans rire). Sur un espace scénique qui se réduit à un cercle blanc, trois individus tâchent d’évoluer harmonieusement sans se bousculer.

Les Russes, qui n’ont pas fini d’en glousser, ont même créé un gif animé, qui résume la chorégraphie façon South Park/Ours Micha.


 "Les Trois ours" à l'eurovision (ne pleure pas, Chichkine*)


Cette chorégraphie rotative se veut apparemment un concentré de ce qui fait l’essence de la Russie.
Si l’âme slave est à coup sûr symbolisée par le violoniste exalté (ici un Hongrois, Edvin Marton : il n’y a pas à dire, le sang hunnique n’a pas son pareil), cet élégant danseur qui sait se jouer de la pesanteur représente semble-t-il la grâce de l’inspiration, à moins qu’il ne célèbre la maîtrise de l’atome (au passage, vous aurez reconnu dans l'électron libre le patineur Evgeni Plushenko). Quant au chanteur, avec son anglais irréprochable, il incarne probablement l’élan vers la modernité (un 
karaoké a d’ailleurs été réalisé pour aider les Russes à comprendre ce que chante Dima Bilan).


Comme le suggèrent des internautes consternés sur les forums russes, il ne manquait plus que Vova Poutine en kimono et Sharapova agitant artistiquement sa raquette pour compléter le tableau.






* Les Trois ours dont le vrai titre est Un matin dans une forêt de pins, 1886, est un tableau d’Ivan Chichkine, un peintre du mouvement des Ambulants (réalisme russe de la fin du 19 ème) et aussi un conte de Tolstoï.

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22 novembre 2007 4 22 /11 /novembre /2007 09:22

 

Red Son : an else world

 

Superman, personnage archétypal américain à l'instar de Mickey Mouse ? Et si on imaginait plutôt le super héros en frère spirituel de l'ours Micha ? Tout est possible, camarade !

 

Dans un scénario légèrement différent de l'original, Mark Millar a imaginé que la fusée renfermant le petit alien atterrissait 12 heures plus tard – soit un demi-tour de sphère terrestre plus loin – en Ukraine, dans une sorte de "Malenkygrad" kolkhosien. L'enfant est élevé dans une laborieuse (mais joyeuse) communauté agricole du peuple, où il prend peu à peu conscience de ses pouvoirs, puis monte à Moscou pour se rendre utile. Très vite repéré par les services de renseignement de Staline, on lui propose un poste de Surhomme du Parti, futur successeur du petit père des peuples. En pleine période d'hostilité grondante avec les USA, une gigantesque propagande est orchestrée autour de cet individu costumé plus fort que toutes les armes américaines, ce super héros alien converti à l'idéal communiste, arborant la faucille et le marteau sur sa poitrine robuste.

 

Les idéaux de Superman sont toutefois plus nobles, il ne veut pas de la direction du Parti " Je suis venu à Moscou pour aider l'homme de la rue. Je suis un travailleur, pas un tribun". Le héros sauve des vies à foison, y compris de l'autre côté de l'océan Pacifique, l'occasion pour lui de rencontrer Loïs Lane.

Pourtant, les circonstances vont le pousser à prendre le pouvoir après la mort de Staline et à construire le monde parfait auquel toute sa nature d'extraterrestre aspire.


Lénine, Staline, Khrouchtch Superman...

(Si vous vous posez la question : oui, j'ai inversé le sens des images)

 

Graphiquement, le travail de Dave Johnson, puis de Kilian Plunkett, est vraiment saisissant. Les couvertures originales, les pleines pages, et même certaines vignettes du comics, sont (très) inspirées de l'imagerie totalitaire communiste, que ce soit les monuments ou les attitudes des personnages. Et oh surprise, le côté si américain des mâles mâchoires carrées colle pertinemment au style propagandiste soviétique.


Vous le comprendrez vite en le lisant, Red Son est une oeuvre riche en références.

Dans cette habile uchronie, d'autres personnages de l'histoire originale de Superman sont également de la partie, pour la plus grande joie des lecteurs/spectateurs de la première version. On voit ainsi Martha Kent craindre que Superman surveille les habitants de Smallville jusque dans leurs toilettes. Loïs Lane devient toujours la rédactrice en chef du Daily Planet mais épouse Lex Luthor et ne connaîtra que fort peu Superman, pour lequel elle éprouve cependant de l'attirance. La dernière partie du comics est de ce point de vue excellente : on y voit Loïs en clone racinairement décollé d'Hillary Clinton, lutter contre Superman aux côtés de son puissant époux. Lex Luthor en génial savant fou, appelé à devenir le maître de l'univers, délaisse toutes ses occupations pour se consacrer entièrement à Superman, mais ce n'est pas tout...

 

Batkounine : l'anarchie était en noir

 

D'autres héros, bien connus de nos services, entrent dans l'intrigue d'une façon inattendue. Les Amazones de Paradise Island se rapprochent de Staline pour ses idées avancées en matière de droit des femmes et Wonder Woman devient ainsi l'alliée occasionnelle de Superman. On retrouve aussi un jeune garçon, dont la famille a été massacrée pour les besoins de la cause communiste, se réfugier dans les égouts au milieu des chauves-souris, puis devenir le principal ennemi du monde parfait que Superman a mis en place, incarnant l'anarchie en chapka fourrée (voir l'illustration ci-dessus).


 

Superman Red Son est le premier comics que je lis et une excellente surprise (encore un grand merci au généreux philanthrope qui me l'a fait découvrir).
 

M. Millar, D. Johnson, K. Plunkett, Superman Red Son, 2003, édité chez Panini Comics 2005 (version française).


 

Quelques citations :

 

"Six millions de vies épargnées, un incident évité qui aurait pu déclencher une guerre... et mon souvenir le plus marquant de cette journée mesurait 1,56 m et portait Chanel n°5."

 

" Excusez-moi de déranger une parfaite soirée d'oppression totalitaire, mais j'ai un message pour ceux qui tiennent à la vie."

 

"Norman Rockwell, la tourte aux pommes, la bannière étoilée et le quatre juillet : le président m'a commandé une création qui symboliserait tout ça et qui rendrait à l'Amérique une fierté dont elle a bien besoin."

 

 

 

 

 

 

 

 


 

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2 octobre 2007 2 02 /10 /octobre /2007 10:46

 

Certains acteurs sont renommés pour l'expressivité de leur visage ou pour leur capacité à transmettre (ou tout simplement à faire comprendre) des émotions par leur jeu, rien qu'en modelant leur image. L'exemple qui me vient tout de suite en tête est celui d'Orson Welles.
À l'opposé, d'autres acteurs ont plutôt centré leur jeu sur une expressivité limitée, qui souvent fonctionne, mais pour des raisons assez différentes. Essai de typologie.


 

1) Aux origines.

 

À l'origine de cette sévérité du visage il s'agit d'exprimer par toute sa personne le pouvoir de juger. L'enfant est très jeune capable de discerner une expression faciale favorable ou défavorable ; il va d'ailleurs se conformer au message ainsi exprimé et se "bien" comporter (en conformité).
L'expression de la sévérité fait aussi bien entendu référence, dans notre inconscient, à la personne qui incarne et exerce l'Autorité : en premier lieu un père ou une mère, un roi, un empereur, un juge, ou mieux, un Dieu (Christ Pantocrator, Christ du Jugement Dernier).

Ces personnes ne sont certes pas là pour plaisanter, leur charge est sérieuse ; elles incarnent cette autorité et la renforcent par l'expression hiératique appropriée.

Au cinéma c'est tout "naturellement" que les personnages qui exercent toutes ces fonctions avec sérénité et bon droit (père, juge... ) adoptent ce type d'expression, car elle rejoint directement le domaine de la représentation. 


 

2) Le détournement

 

Les "pince-sans-rire" utilisent l'austérité faciale au second degré, en contrepoint, pour renforcer le comique d'une situation. Celui-ci est mis en valeur par la surprise que cause ce contraste. Un exemple emblématique : Buster Keaton. Son humour est d'autant plus efficace que sa face est triste et livide.


On peut aussi, à la rigueur, ranger dans cette catégorie Woody Allen, bien que son expression principale n'affiche pas vraiment le calme, ni la détermination.


Un exemple de détournement au hasard : je repense aussi à la scène dans The Big Store (un film avec les Marx Brothers), où une vendeuse berce un enfant avec une face de carême pas possible... L'effet est saisissant.



 

3) Un style de jeu : l'underplaying

 


L'underplaying, c'est l'art de jouer un rôle avec une économie de moyens et d'expression. Sobriété et dignité. Ce fut une grande mode, qui resurgit par moments.
Ce type de jeu convient parfaitement aux personnages de privés ou de flics un peu indépendants, dans les films noirs notamment.


Contrairement à l'expression de celui qui a le pouvoir et qui l'exerce, l'underplaying se révèle particulièrement efficace dans les situations périlleuses où le personnage se trouve parfois plongé.


Ce calme indéfectible donne l'illusion d'une maîtrise de la situation et confère spontanément une aura au héros. Ces personnages qui encaissent les coups et les surprises avec un calme olympien ou avec le minimum syndical du plissement nasolabial forcent immédiatement le respect.


Seulement pour réussir ce pari, il faut avoir une réelle présence. (et aussi un réalisateur qui ne soit pas un manche, un monteur qui touche sa bille, un très bon éclairagiste...). Citons entre autres :  

 


Gary Cooper,


Spencer Tracy,



Robert Mitchum,



Humphrey Bogart...

 


Chez les femmes aussi :


Marlene Dietrich,



Greta Garbo


(notamment dans Ninotchka, où son austérité faciale est très habilement utilisée par Lubitsch).


 

3 bis) Un underplaying à la française ?

 


Jean Gabin

 


Jean Gabin, Jean Yanne, Lino Ventura : ces trois acteurs ont en commun un jeu fondé sur l'impassibilité comme modèle viril. Ils se font respecter des autres personnages par leur sobre détermination. Légèrement différente du flegme, cette virilité apparente et ostentatoire, matérialise l'idée d'une grande force intérieure et d'une maîtrise de soi. La concision expressive  exprime ici le fait que jamais la peur ne se transformera chez eux en panique.

 


Jean Yanne

 


N'allons pas croire pour autant qu'ils ne savent que tirer la tronche. Mais même quand ils rient, ces trois acteurs  ne se départissent pas de cette mâle assurance.

 


Lino Ventura

 


Le plus souvent, ils jouent leur propre personnage.


Lautner fait une utilisation ingénieuse de ce type d'underplaying. Il sert ainsi un scénario à caractère humoristique (et rejoint quelque part le détournement de l'austérité).


 

4) Retour aux sources : l'homme sans colère

 


C'est aussi l'expression faciale caractéristique du tireur professionnel, qui véhicule la double idée de l'exécution d'un jugement et du professionnalisme (du respect du métier, quoi).


Une variante : Le personnage qui n'exprime aucune passion, qui a renoncé à la fois aux plaisirs et à la souffrance, pour ne servir qu'un seul but, celui de sa vengeance, dont l'exemple typologique est Charles Bronson (mais à ce niveau-là ce n'est plus un style de jeu, c'est un manifeste) ou encore Tomisaburō Wakayama (dans la série des Baby Cart).


 

5) Le masque

 


Une catégorie à part : l'absence totale d'expression pour donner l'impression que l'acteur porte un masque figé et glacé. L'effet est en général saisissant, surtout dans les films où cet effet est recherché pour rappeler une parenté avec le théâtre Nô (ou le Kabuki), ou tout simplement pour accentuer le rapprochement entre les êtres de chair et les marionnettes. (Là, je pense à Dolls, le film de Takeshi Kitano, dont deux des protagonistes errent des mois durant, comme des pantins, parallèlement aux deux poupées d'un spectacle de marionnettes).


 

6) Conclusion

 


Du point de vue de la mise en scène et du choix que fait (ou non) le réalisateur d'adopter l'underplaying, je constate surtout qu'il y a des types de rôles qui appellent spontanément un jeu austère, mais aussi des réalisateurs qui demandent un jeu sobre pour mettre en valeur leur histoire, leur mise en scène.

 


Il y a enfin des acteurs qui se sont fait une spécialité de jouer à l'économie (parfois ça marche, parfois non) et auxquels les réalisateurs font appel pour ce talent. Chez certains, qui ont mis une bonne couche d'Inexpressive, le jeu est à la limite de l'insipidité (qui a dit Jean Reno ?).

 


Dans tous les cas un acteur seul ne peut imposer sa musique à l'orchestre, il lui faut un réalisateur qui sache voir et utiliser ses talents d'underplaying. Car si par son expression dépouillée, le visage de l'acteur nous invite à deviner ses intentions, devenant un peu le miroir de nos propres sentiments, il faut aussi qu'à l'opposé, la mise en scène soit expressive ou du moins très claire dans ses intentions.

 


(Et Chuck Norris dans tout ça ?


Bornons-nous à rappeler que tout chez lui, jusqu'à son impassibilité, est devenu légendaire : "S'il faut 26 marionnettistes pour faire sourire une marionnette officielle de Chuck Norris... Il n'en faut que 2 pour lui faire détruire un orphelinat... ".)

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8 septembre 2007 6 08 /09 /septembre /2007 17:13

 

Élu plus grand nanar de tous les temps par nanarland.com , le cas de White Fire / Vivre pour survivre est exceptionnel car il transcende le ridicule et le comique involontaire par sa portée symbolique et sa fin complètement inattendue qui ébranle les esprits (moqueurs). Et même, il incite à la réflexion (si, un peu).

 


Peu habituée des nanars (j’ai du en voir trois ou quatre dans ma vie), j’ai été fascinée, voire subjuguée par White Fire / Vivre pour survivre : preuve, si besoin en était, que ce bijou s’adresse à tous les publics et même aux néophytes. Peu de nanars accèdent à cette perfection !
Si j'ai l'outrecuidance d’en faire une critique aussi désinvolte, c'est sans doute que la dimension quasi-sacrée que l'on accorde à ce nanar, joyau parmi les nanars, me semble être le signe indubitable de sa dimension mythologique (carrément).
Qu’on en juge plutôt par les thèmes abordés dans White Fire :
- une relation (quasi) incestueuse unit le frère et la soeur dans le film, cela invite immédiatement à la placer sur un plan mythique ;
- le thème de la quête (quasi) mystique du diamant appelé "White Fire" ;
- la mort de la sœur et sa (quasi)« résurrection » ; là encore, c'est mythologique.

Notez au passage que la dimension "nanaresque" d’un film repose souvent sur les « quasi » : ce qui laisse entendre qu'il n'est souvent pas passé loin du chef-d’œuvre, faut en avoir conscience (je déconne à peine).
D’autres éléments rattachent plus prosaïquement ce film au domaine du conte merveilleux : ainsi le statut d’orphelin des deux enfants, ou la fascination pour les diamants…

 

 

 

WHITE FIRE : le mythe du nanar / nanar aux mythes 


Quelques pistes mineures


Tout commence dans la forêt…
La scène d’ouverture du film, son prologue, ne vous aura pas échappé : une famille est obligée de s’enfuir la nuit ( !) dans la forêt ( !), poursuivie pas des soldats turcs (pour des raisons sans doute budgétaires, l'ensemble du film a été tourné en Turquie). La forêt, cette réalité, est profondément ancrée dans notre culture et notre histoire : la forêt de Bondy et ses brigands, les villes de clairières, les défrichements arrachés à la forêt omniprésente… La fuite, qui plus est dans la forêt, est un thème récurrent dans les contes pour enfants : Blanche-Neige (Perrault ; Grimm) s’enfuit et se cache dans la forêt, Frérot et Soeurette (Grimm) aussi. Les bois sont le refuge habituel de tous ceux qui veulent fuir la société des hommes (Robin des Bois par exemple, ou le chevalier Yvain quand il devient fou, ou Tristan pour les mêmes raisons). Cette fuite dans la forêt a donc des résonances forcément profondes dans notre inconscient


Deux orphelins
Les deux parents sont tués successivement, laissant le frère et sa sœur orphelins, ce qui est aussi une chose courante dans les contes. Soit les enfants sont réellement orphelins, soit ils ont été abandonnés par leurs parents (le plus souvent pour des raisons peu claires), ainsi Hans et Gretel.
C’est la situation de départ imposée pour que les enfants aillent de l’avant et affrontent leur destin.
Or, après la mort des parents, on ne retrouve les orphelins qu’à l’âge adulte (environ 35 ans, c'est-à-dire loin de leur enfance), ce qui frustre un peu le spectateur qui s’attendait sans doute à voir une attendrissante histoire de petits orphelins…
Le couple Ingrid / Mike se pose donc d’entrée de jeu comme un anti-Hans / Gretel.


Ingrid/Olga
À peu près au milieu du film, Ingrid est tuée d’une flèche dans le front. Mike désespéré étreint le corps sans vie de sa sœur, donnant lieu à l’une des scènes les plus poignantes. Peu de temps après, une femme blonde rappelant fortement Ingrid fait son apparition dans la vie de Mike. Elle tombe éperdument amoureuse de lui, au point d’accepter de subir une opération chirurgicale visant à la transformer en Ingrid, ainsi qu’à changer sa manière d’être pour ressembler encore davantage à la sœur disparue. Cette métamorphose complète d’Olga, ainsi que son apparition brutale autant que surprenante dans le cours du film, font planer un certain mystère sur ce personnage.
Cette femme providentielle apparaît précisément juste après ce moment où les relations entre Ingrid et Mike basculent dans l'ambigu.
D’ailleurs Ingrid meurt le soir où son frère a éprouvé un désir coupable pour elle. N’est-ce pas l’image d’un refoulement ?
Olga prend pudiquement la place d’Ingrid là où une relation incestueuse risquait de voir le jour. Relation forcément interdite puisque les personnages du film, même s’ils s’apparentent à des divinités (nous verrons plus loin en quoi), sont officiellement des humains.
La morale est sauve, mais sur le plan métaphorique, il n’en demeure pas moins qu’Ingrid et Olga sont une seule personne, qui meurt et renaît dans des circonstances obscures (je n’ai pas encore élucidé le mystère de la clinique des voluptés où Olga subit son opération…) et qui forme bel et bien un couple avec Mike.

 

La mort brutale d'Ingrid

 


« Dommage que tu sois ma soeur... »

Si chez les Indo-européens la relation incestueuse entre un frère et sa sœur a toujours été considérée comme un tabou, l’inceste entre deux divinités frère et sœur a toujours existé dans la mythologie. Le tabou semble levé dés lors qu’il s’agit de dieux. On ne compte plus les couples frère/sœur. Chez les Egyptiens : Chou/Tefnout, Geb/Nout, Osiris/Isis, Seth/Nephtys. Chez les Indiens : Brahma/Shakti, Shiva/Kali... Chez les Grecs : Zeus/Héra, Gaïa/Ouranos, Aphrodite/Héphaïstos/Arès et d’autres petits mythes comme ceux de Leucippos, Macarée qui concernent des hommes et non des divinités, où les relations incestueuses sont interdites… Chez les Scandinaves : Freyr/Freyja, Sòl/Máni… Il y a en particulier deux types de couples qui sont communs à de nombreuses cultures archaïques, le couple Terre/Ciel et le couple Soleil/Lune, la plupart du temps frère et sœur ou mari et femme (à l’origine certainement les deux).

Est-ce la présence obsédante des diamants dans White-Fire ? Toujours est-il que le couple Soleil/Lune me semble le plus intéressant pour éclairer (ha ha) mon propos. Le soleil est masculin dans de nombreuses langues indo-européennes. Il est aussi parfois féminin : en allemand notamment ou dans les langues nordiques. Ce qui fait de la lune un dieu et du soleil une déesse. Ce couple, de même de celui qui unit le ciel et la terre, est complémentaire et interdépendant, soleil et lune ne peuvent agir l’un sans l’autre (enfin, surtout la lune). Songeons au couple nordique formé par Sol (déesse solaire) et Màni (dieu lunaire), frère et sœur, qui ont été jetés dans le ciel et sont poursuivis par le loup Hati (le Haineux), fuyant dans une couse éperdue… ça ne vous rappelle rien ?

 

Mike et sa... tronçonneuse.

 


Examinons les caractères du frère et de la sœur.
Ingrid est blonde (symbole solaire) belle et désirable ; elle aime les diamants (qui brillent) ; elle aime bien allumer les hommes ; elle meurt le soir et renaît le jour (je sais, c’est tiré par les cheveux mais j’assume)… Elle agit toujours dans l’intérêt commun du couple (platonique) qu’elle forme avec son frère (complémentarité, interdépendance).
Mike est brun, protecteur mais il est impuissant. Il a besoin de sa sœur pour faire fonctionner leur « entreprise ». Il ne peut pas partir seul en quête du White Fire. Il désire charnellement sa sœur mais il ne parvient pas à consommer leur union. A ce titre, l’emploi tout à fait gratuit d’une tronçonneuse lors d’un combat homérique dans les docks, me semble être un substitut phallique horrifique mais crédible.

 

 

Freyja et son collier (vision contemporaine)

 


C’est le mythe de Freyr et Freyja de la mythologie scandinave qui offre le rapprochement le plus pertinent.
Freyja est la principale divinité Vane qui préside à l’amour et à la volupté, on lui attache aussi un caractère de lascivité. Nous reconnaissons là les atouts d’Ingrid : sa beauté, cette manière de se baigner nue et de provoquer sexuellement son frère.
Le mythe rapporte en outre que Freyja est entrée en possession d’un collier magique (le collier des Brésigamen), que ses deux enfants s’appellent « bijou » et « trésor » (traduction) et qu’elle est capable de verser des larmes d’or, toutes caractéristiques qui font de Freyja une divinité solaire. Ingrid se contente pour sa part d’être fortement attirée par les diamants, version moderne des bijoux scintillants (symbole évident des rayons solaires).
Dans les Pays du Nord, l’or a souvent une valeur métaphorique qui dépasse de loin les simples caractéristiques du métal. Ainsi il est parfois appelé « Feu d’Ægir » car l’or pur, donc radieux, éclaire traditionnellement le palais de ce dieu. Justement l’or et le feu sont souvent associés, ce qui nous ramène à ce mystérieux « Feu Blanc » qui n’est autre qu’un diamant « pur ». Il est désormais, à mon sens, possible de rapprocher l’or des Scandinaves et le diamant des Turcs.
Freyja est aussi une divinité qui règne sur le monde des morts et de la magie. Le fait qu’Ingrid meure au milieu du film, et précisément la nuit, ne rappelle-t-il pas ce côté obscur de la déesse ?
Freyja et Freyr sont les enfants de Njördr, dieu des mers. Au début du film, les deux enfants se retrouvent orphelins devant la mer, qui restera ponctuellement présente au long du film. Leur mère est Skadi, une déesse nordique également liée au règne des morts. Or la mère comme la fille trouvent la mort au cours du film.
Les deux (hum) splendides ralentis du film leur sont d’ailleurs réservés, sans doute pour rapprocher le destin des deux femmes et peut-être pour affirmer leur caractère divin.
Détail réjouissant, dans certaines légendes, Freyja possède une forme de Faucon (d’oiseau) qui lui permet de se métamorphoser. Doit-on voir une allusion à cette faculté lorsque Olga (devenue Ingrid) se met spontanément et inexplicablement à imiter le pingouin au cours d'une scène très touchante, constituée du montage des "grands moments de complicité" entre Mike et Olga ?
Freyr est le frère jumeau de Freyja. Il est assez amusant que les attributs qui lui sont traditionnellement associés soient le bateau et le phallus…

 


 

 

Je crois que le monsieur convoite...

 

 

« Le White Fire existe ? Je croyais que c’était un mythe ! »

 

 


Le film, très riche dans sa thématique, nous offre, outre une histoire palpitante mettant en scène des trafiquants dans des combats épiques, une quête merveilleuse : celle du White Fire.
Pourquoi en parle-t-on, pourquoi cherchent-ils tous après lui, voilà qui est intéressant. D’après le scénario, il s’agit d’un diamant mythique, tellement « pur » qu’il émet son propre rayonnement, son propre feu destructeur.


On a beaucoup glosé à propos de ce diamant, laissez-moi apporter ma pierre au cou de ce fantasme. Oui, bien sûr il y a une symbolique cachée du White Fire : le diamant est tellement détaché de l’histoire qu’il est forcément symbolique. Symbolique de quoi, là est toute la question…
Observons d’abord le lieu où est dissimulé ce diamant.
Il est caché dans une caverne, évidente métaphore de l’espace utérin, où le frère et la sœur seraient obligés d’entrer pour « renaître ». Le diamant est également dangereux, il brûle ou émet des rayonnements nocifs contre ceux qui l’approchent.
Or, dans la mythologie scandinave, décidément très présente dans ce film, les géants, qui personnifient les forces obscures du monde, convoitent avant tout le soleil, ou Freyja. On voit d’ailleurs dans le film qu’Ingrid est très convoitée. Elle est enlevée une première fois sur le bateau de trafiquants, la seconde tentative d’enlèvement se solde par sa mort accidentelle.
De même, le White Fire est très convoité ; et comme Ingrid, il se défend. D’après la légende, la déesse soleil met à mort ceux qui veulent empiéter sur le sol qu’elle protège depuis des temps immémoriaux. Elle décoche des rayons-flèches qui foudroient ses adversaires. Le White Fire est donc à l’évidence un symbole solaire.


La collusion du soleil avec l’or n’est pas fortuite (si l’on admet l’équivalence or = diamant exposée plus haut). C’est le mythe de l’Aurore qui nous éclaire sur ce point. Aurore, apparentée au nom de l’or, brillante par définition, est une figure indo-européenne de premier plan. Sœur de la nuit (la belle brune castratrice, à la tête des trafiquants ?), amoureuse, enleveuse d’hommes, elle chasse les ténèbres. Mère universelle, elle « élève » le soleil. Elle est souvent accompagnée d’un couple de jumeaux. Ces jumeaux, qui apparaissent dans de nombreux mythes des peuples indo-européens, sont souvent du même sexe ; féminin (chez les slaves par exemple) ou masculin (chez les Grecs notamment). Parfois, c’est plus rare, les jumeaux sont frère et sœur, comme c’est le cas de Freyr et de Freyja. En Inde, en Lituanie et en Grèce, une légende rapporte que les jumeaux ont pour mission de libérer une créature féminine lumineuse, dans laquelle on a reconnu l’Aurore. Irons nous jusqu’à interpréter l’explosion du diamant comme sa libération ? Je suis personnellement assez tentée…


Problème : les héros de White Fire ne sont pas jumeaux : Mike est clairement plus âgé que sa sœur, ce qui nous éloigne en apparence de ce mythe.
Nous touchons là je pense l’une des caractéristique du nanar : le mythe d’origine y est tellement dilué et modernisé qu’il en devient méconnaissable. Ajoutons à cela que le réalisateur du nanar s’obstine à refuser le moindre caractère merveilleux aux thèmes qu’il développe dans le film, ce qui nous promet de bons moments de rigolade.
De nombreuses allusions mythiques restent encore à découvrir… j’ai bien quelques pistes mais je les laisse mûrir.

 

 

 

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5 septembre 2007 3 05 /09 /septembre /2007 11:29

(Cette brave grouse n'a rien à voir avec ce qui suit)

 

" Le nanar est au cinéphile ce que le cassoulet en boîte est au gourmet : comme ça, ça ne semble pas attirant, mais parfois, il est jouissif de s'en baffrer à pleines mains (quoique extrêmement régressif). "

FatFreddy sur EcranLarge.com
 


Dans la classification cinématographique, le nanar diffère en général du simple navet (ennuyeux) ou de la pure grouse* (énervante) par un aspect fondamental : il est fait avec le plus extrême sérieux et la plus grande sincérité.

Il semble très difficile de donner une définition exhaustive de cette catégorie de films. On dit souvent que le nanar est une affaire de goût et que les nanars des uns ne sont pas ceux des autres. Mais finalement, est-elle si subjective, cette définition ?


Quand on réfléchit à ce qui peut bien différencier le nanar de la vilaine grouse, on en vient rapidement à supposer que le nanar par excellence, le « nanar abouti », sait décoller de la simple trame narrative événementielle (dans laquelle la grouse s’englue) pour accéder, malgré d’évidents défauts techniques et artistiques, à (côté d’) une dimension plus profonde. 


Il semble s’adresser au domaine caché de nos esprits pétris de cartésianisme et de cynisme contemporain : notre inconscient archaïque. D’où notre hilarité teintée de sympathie devant tant de ringardise.

En effet, le nanar présente des thèmes universels (ou presque), des schémas mythologiques plongeant le plus souvent dans les racines indo-européennes (cinéma occidental oblige), voire pré indo-européennes, c’est peut-être ce qui confère au nanar son charme naïf inexplicable et fascinant.

Le nanar grand choix ne s’élève pas au niveau cathartique des tragédies de Sophocle, bien sûr...

Mais, d’une manière vulgarisée, affaiblie, abâtardie, aplatie, il sait aussi atteindre les sphères de notre inconscient collectif (ou au moins le vestibule des sphères ?). C’est du moins l’hypothèse de travail que je me propose de développer en prenant pour exemple l’indétrônable nanar de Jean-Marie Pallardy, White Fire, aka Vivre pour Survivre, réalisé en 1985.

 

* Grouse = contraction de "grosse bouse".

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