La Marseillaise de Jean Renoir : un film qui vous explique, entre autres,
comment les Parisiens ont mangé de la tomate pour la première fois.
Comment un simple chant devient-il un hymne national ? La Marseillaise de Jean Renoir, un film de 1937, nous l'explique en accompagnant la longue marche des soldats fédérés de Marseille qui montent à la capitale en répandant le "Chant de l'armée du Rhin" (plus tard nommé "Marseillaise"). Ce film illustre particulièrement bien l’utilité de ce type de chant : unir les troupes mieux que ne le fait un drapeau, car le chant collectif émis lors d’un effort joue un rôle galvanisant.
« On ne gagne la guerre qu’avec des chansons...il faut un chant qui ait l’air de venir des maquis », affirmait l’auteur de la Complainte du Partisan, Emmanuel d’Astier de la Vigerie.
Fort bien, mais comment l’écrire ? Suivez ce petit tutoriel et devenez le fer de la lutte qui s’engagera.
Permière étape : le message
Il est primordial de choisir le moment du chant :
C’est un chant de célébration ? Evoquez un grand moment de lutte de l’histoire récente qui resservira pour la fois prochaine.
C’est un chant d’action ? Soutenez les acteurs de la lutte par un chant énergique qui prend aux tripes.
Le chant peut aussi annoncer un combat à venir :
Mais notre règne arrivera
Quand votre règne finira. (bis)
Nous tisserons
Le linceul du vieux monde,
Car on entend déjà la révolte qui gronde
(Les Canuts, Aristide Bruant, 1894)
N’hésitez pas à varier les registres – guerrier, bucolique, mélancolique –, ainsi la seule évocation d’un âge d’or au paysage champêtre recèle une puissance suggestive supérieure à tout le lexique de la bataille.
Que tu as la maison douce
Giroflée Girofla
L'herbe y croît, les fleurs y poussent
Le printemps est là.
Dans la nuit qui devient rousse
Giroflée Girofla
L'avion la brûlera.
Que tu as de beaux champs d'orge
Giroflée Girofla
Ton grenier de fruits regorge
L'abondance est là.
Entends-tu souffler la forge
Giroflée Girofla
L' canon les fauchera.
(...)
(Giroflée, girofla, Chanson écrite par Rosa HOLT en 1935.)
Passé, présent, futur, l’emploi des temps est très éloquent. Le combattant du chant patriotique a derrière lui le passé – époque révolue de l’ennemi –, s’inscrit dans le présent – le temps de l’action –, mais regarde vers le futur radieux de la prospérité retrouvée.
Ne négligez pas d’exhorter car l’emploi de l’impératif l’est, assurément : Allons ! Marchons ! Levez-vous ! mais aussi Debout ! Dehors ! toussa, toussa…
Choisissez vos mots-clef en connaissance de cause. Les noms abstraits (liberté, gloire, mort, justice), les adverbes (comme demain, toujours, partout) sont particulièrement indiqués pour un chant de lutte : n’hésitez pas à les employer jusqu’à la nausée.
N’oubliez pas non plus que, dans la mesure du possible, votre chant doit convoiter l’universalité : étendez donc votre enthousiasme à la terre entière, au monde, à l’univers !
Si vous êtes poètes, pourquoi ne pas essayer de trouver une image saisissante, « qu’un sang impur abreuve nos sillons », « du passé faisons table rase », une formule qui fera date ? Songez par exemple que les métaphores agricoles ont le don de parler au paysan qui est en nous.
Conseil : privilégier la simplicité. Tout le monde doit pouvoir se reconnaître dans ce chant vibrant de courage et y puiser des forces. Evitez aussi les messages trop précis, le slogan doit être rassembleur, ne prenez pas le risque de voir déserter vos rangs pour des querelles de chapelles.
Le message doit être clair
Deuxième étape : choisir son ennemi
Le monde du chant de lutte est assez binaire. Il y a les autres (le mal) et nous (le bien). Il y a toujours un ennemi sournois qu’il faut éradiquer. A lui l’injustice, l’opprobre et la cruauté ; au bon soldat – parfois improvisé – de défendre la vertu et la liberté.
Il est donc important de se choisir un ennemi.
A l’occasion d’une occupation ou d’une guerre civile, le choix est simple, il y a eux et nous (et réciproquement) :
« Julien Dragoul...Bon il a p'têt fait quelques p'tites concessions...
Ça fait pas d'mal ma foi
De marcher au pas d'l'oie
Pas comme ces abrutis
Qui s'planquent dans le maquis !
Mais il s'est engagé pour une France libre… dès 1946 !
Dehors les boches!
Dehors, les boches! »
(Les Inconnus, Chansons d’antan, 1990)
Si un mouvement social est en cours, prenez le train en marche ou même courez derrière, composez pour l’occasion des vers immortels. Publiez-les quatorze ans plus tard, ils se teinteront alors d’un air menaçant de très bon augure :
Tout ça n’empêche pas Nicolas
Qu’ la Commune n’est pas morte.
Tout ça n’empêche pas Nicolas
Qu’ la Commune n’est pas morte !
(Eugène Pottier, Elle n’est pas morte, 1885)
En temps de paix, c’est plus difficile. Quoique… mettre en route une bonne lutte sociale par un chant peut constituer un défi intéressant.
On peut également écrire un chant longtemps après coup, l’avantage étant que l’ennemi d’hier n’existe plus, mais que l’ennemi d’aujourd’hui n’en est pas moins visé indirectement. Pour être plus clairs, prenons l’exemple des Canuts (tisserands) révoltés à Lyon en 1831, qui font l’objet d’un chant de révolte de cabaret écrit en 1894 par Aristide Bruant :
Pour chanter Veni Creator
Il faut une chasuble d'or
Pour chanter Veni Creator
Il faut une chasuble d'or
Nous en tissons pour vous, grands de l'église
Et nous, pauvres canuts, n'avons pas de chemise (…)
Si vous n’avez pas trouvé d’ennemi, ce n’est pas grave : combattez l’injustice, la misère… ça fera l’affaire.
Nous menons une guerre, camarades,
une guerre contre la misère et la nécessité.
(Internationalen Arbeiterhilfe, Chant de lutte de l’Aide Ouvrière Internationale, 1922).
Conseil : éviter de nommer directement son ennemi, au contraire, le qualifier le plus obscurément possible (le chant pourrait resservir). A toute mention trop concrète – « les Allemands », « les Bolcheviques », «les royalistes » – qui pourrait donner quelque dignité à l’adversaire, préférer les pronoms « ils » « eux » ou les anaphores infidèles (et dégradantes) « ces lâches » « ces traîtres », « ces fourbes », ou alors les désigner par une couleur : « les blancs », « les rouges ».
« Sur Internet, il a un blog où on t’explique comment faire un tube patriotique, c'est par là !
Tu devrais y jeter un œil, parce que je vois que tu peines sur ta feuille… »
Troisième étape : composer
Les vers doivent être courts pour être facilement retenus par les esprits. Nous vous conseillons les octosyllabes, au rythme appuyé mais vif. Les vers plus courts sont envisageables mais leurs possibilités argumentatives sont limitées (oui, encore plus limitées).
Oh ! oh!
A bas la République
Gai ! gai !
Vive la Royauté (bis)
Oh ! oh !
(Huchement des Chouans du Marais vendéen, 1815)
Il existe quelques moyens éprouvés pour faire entrer durablement votre chant dans les bulbes :
- Inventer un gimmick très simple, du genre « oh, oh ! » ou « Ah, ça ira ».
- Régler la cadence du chant sur le pas des troupes et, si possible, alterner les mouvements entre mode majeur et mode mineur.
Introduisez une connivence, tenez compte des besoins des combattants, n’allez pas requérir leur sang de manière trop abrupte :
(...)
J'entends une canonnade :
Vite, allons à l'ennemi !
Mais avant, une rasade
A la santé de Précy !
(...)
(Chant des fantassins lyonnais, 1793)
Placer les mots-clefs aux endroits stratégiques du vers, en premier lieu à la rime, et ne négligez pas l’accent mineur, au milieu du vers, qui peut faire son petit effet.
Allons enfants de la patrie
Le jour de gloire est arrivé !
NB : Le futur de l’indicatif offre l’avantage de fournir des rimes fortes et pratiques en cas de panne d’inspiration.
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira,
Quand l’aristocrate protestera,
Le bon citoyen au nez lui rira,
Sans avoir l’âme troublée,
Toujours le plus fort sera.
Défend-on une cause, une idée, une idéologie : y a-t-il un leader ? Ne pas hésiter à citer son nom, à la rime c’est encore plus majestueux.
Par le froid et la famine
Dans les villes et dans les champs
A l'appel du grand Lénine*
Se levaient les partisans.
*qu’on fait rimer avec famine, ce qui est historiquement assez juste…
(Les partisans, chant de l’Armée rouge, T. Aturov / S. Alimov)
Conseil : attention à l’intelligibilité de vos couplets, le syndrome du « soldat Séféro*» peut nuire à un chant patriotique de la meilleure eau.
*entendez vous, dans nos campagnes, mugir Séféro, ce soldat ?
Pour ceux qui ont la flemme, deux possibilités :
[Remarquons toutefois qu’une certaine adynamie constatée lors l’écriture d’un chant de ralliement n’est pas annonciatrice d’efficacité dans la lutte future… enfin parfois c’est mieux comme ça.]
1 - Réécrire un hymne déjà existant (un pastiche sinon rien) en accommodant les textes à sa propre sauce.
La Marseillaise des Blancs (1793)
Allons armée catholique
Le jour de gloire est arrivé
Contre nous de la République
L'étendard sanglant est levé (bis)
Otendez vés dans quiés campagnes
Les cris impurs des scélérats?
Gle venans jusque dans vos bras
Prendre vos feilles et vos femmes.
Aux armes Poitevins!
formez vos bataillons
Marchez, marchez, le sang des Bleus
rogira vos sellions !
(…)
Vous trouverez des exemples à pasticher en suivant ces liens :
chants révolutionnaires ; chants communistes ; chants royalistes ; chants de lutte ; chants militaires
2 – Faire usage du Patriotron pour générer un chant de combat d’un seul clic (générateur aléatoire de texte réalisé par mes soins).