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Faut-il snober le snob ?


Le snob aime paraître éclectique . Il ne prend pas grand chose au sérieux. D'ailleurs le snob préfère concentrer toute son intelligence sur des conneries plutôt que de mobiliser toute sa connerie sur des choses intelligentes. Sa patience a des limites... mais il ne faut pas exagérer. Il ne connaît aucune blague belge. Il est extrêmement prétentieux.
Bref, le snob est coupable.
15 août 2006 2 15 /08 /août /2006 11:28

La charmeuse de serpent, automate mécanique à musique Roullet-Decamps,

1902-1906 (Musée de l'Automate - Souillac - Lot, collection nationale).

 

Pouvoir de fascination

 

En visite à Souillac (Lot), je suis demeurée inexplicablement en extase devant cette belle jeune femme à la peau brune, en fait un automate mécanique à musique conçu par les ateliers Roullet-Decamps  au début du 20ème siècle (entre 1902 et 1906).

Qu'est-ce qui peut bien m'avoir frappée dans cette figure exposée parmi des centaines d'autres automates ? Sans doute se distingue-t-elle des autres objets exposés par sa qualité même, au-delà de ses propriétés mécaniques ?

 

Ses proportions ne sont pas celles des pantins ou des poupées destinées aux enfants, avec leurs têtes et leurs yeux disproportionnés, qui représentent la production la plus courante des ateliers d'automates parisiens de cette période. Nul effet comique ou attendrissant n'est ici désiré. Au contraire, le corps et la pose sont particulièrement élégants, avec un déhanchement subtil et une disposition en chiasme à peine perceptible.

 

 

Une autre charmeuse de la maison Roullet-Decamps (collection privée).

 

 

En tant qu'automate, cette oeuvre n'a rien de spécialement original, nous apprend le guide de l'exposition.

Le mécanisme est dissimulé dans le socle et une tige passant à l'intérieur de la jambe d'appui de l'automate "transmet le mouvement par un jeu de tringlerie". La principale nouveauté consiste à dissimuler les articulations par des bijoux, de manière à montrer  davantage de peau. Contrairement aux autres productions de la maison Roullet-Decamps, aux amples vêtements couvrant la plus grande partie du corps, la charmeuse est presque nue.

 

L'aspect sensuel de la figure a été soigneusement orchestré. Son corps est façonné dans du carton bouilli enduit de gutta-percha (un latex naturel qui devient rigide et que l'on peut polir) pour donner cet aspect délicatement satiné à sa peau. L'ivoirine (ivoire reconstituée à partir de poudre) rend l'éclat "naturel" des yeux.

 

En fait, l'oeuvre immobile est en soi une oeuvre d'art tout à fait estimable ; quand elle s'anime, elle devient tout simplement hypnotique. Ses lents mouvements de tête vers la trompe dont le son séduit le reptile, le frémissement de ses paupières lorsqu'elle observe fixement l'animal qui sinue, le délicat soulèvement sa poitrine imitant une respiration naturelle, concourent à donner une impression de vie à ce gynoïde.

 

L'exotique charmeuse de serpent, surnommée Zulma, est une oeuvre originale de Gaston Decamps, fils du fondateur des ateliers. Présentée en même temps que la danseuse cambodgienne, un autre automate ravissant (et tout aussi original), pour accéder à la maîtrise au sein de sa corporation (chef-d'oeuvre), elle fit immédiatement sensation.

 

C'est Ève qui inspira tout d'abord, les représentations

des charmeuses de serpent, puis l'inverse...

 

 

[De gauche à droite : Joseph Wind, Snake Charmer, bronze, vers 1890 (collection privée); Robert Toberentz, Snake Charmer, bronze, fin du 19ème siècle (collection privée) ; Blake, Eve and Serpent, bronze, fin du 20ème siècle.]

 

Devenue célèbre, cette charmeuse fut ajoutée au catalogue de la maison Roullet-Decamps, et fabriquée sur commande. On en recense aujourd'hui une douzaine d'exemplaires. Celui du musée de l'Automate de Souillac est parfaitement conservé, il en existe quelques autres dans les musées spécialisés, comme celui de Neuilly-sur-Seine ou celui de Monaco (où c'est une reconstitution qui est présentée). On trouve les autres charmeuses dans les collections privées.


 

L'automate et le bourgeois

 

Contrairement à ce qu'on observe au 18ème siècle, les automates du siècle industriel, fabriqués en série, connaissent un succès considérable auprès d'un public dépassant le cadre de l'aristocratie. Ces créatures animées produites à moindre coût sont avant tout destinées au divertissement des salons bourgeois et des enfants. 

 

L'automate devient au 19ème siècle l'emblème d'une bourgeoisie triomphante, issue de la révolution industrielle qui est précisément à l'origine de l'essor du jouet mécanique. C'est un véritable engouement.

 

Pour se faire une idée de l'incidence de la fabrication en série (notion toute récente) sur la baisse du prix moyen de l'automate, considérons quelques chiffres : en 1878, une pièce de belle fabrication valait entre 1000 et 3000 Frs, sachant que le salaire journalier d’un ouvrier gagnant bien sa vie était de 5 Frs par jour et que 1500 Frs représentait le minimum vital annuel d’un couple avec deux enfants.
En 1890, soit douze ans plus tard, un automate de Roullet Decamps se vendait entre 9 et 130 Frs.
La Première Guerre mondiale met fin à cette industrie.

 

Les charmeuses de serpent de Music-hall,

dont les affiches reflètent une réalité légèrement exagérée, 

exercent une forte influence sur les autres spectacles.

 

 

(À gauche : affiche originale pour le numéro de Nala Damajanti aux Folies Bergère. À droite : Affiche de H. de Toulouse-Lautrec pour Jane Avril, 1899.)     

 

Ces réalisations sont l'oeuvre d'ateliers / fabriques essentiellement parisiens du nom de Lambert, Phalibois, Vichy, Théroude et Roullet Decamps. Les créatures construites selon les principes de la production industrielle (telles que la spécialisation des tâches, le travail à la chaîne et le rendement) sont moins chères mais, partant, moins élaborées que leurs aînées du siècle précédent.

Ces maisons prestigieuses jonglent avec les impératifs de rentabilité de l'objet de consommation et des ambitions artistiques et mécaniques, cherchant sans cesse à améliorer leur catalogue et à étonner par le naturel du rendu du mouvement.

 

"L'automate est une sculpture animée", a dit Gaston Descamps, reprenant à son compte la citation de Jacques de Vaucanson  (un 'mécanicien' du milieu du 18ème siècle). C'est sans doute pourquoi l'apparence physique des sujets a autant d'importance pour lui.

 

 

Nala Damajanti, célébrité du music-hall posant dans un décor "exotique"

(albumine Kozmata Ferencz, vers 1880-1890).

 

Les modèles des automates sont puisés dans l'époque contemporaine : animaux domestiques, animaux exotiques, écoliers malicieux, poupons sortant d'un chou ou d'une rose, métiers des rues... Les plus recherchés s'inspirent du monde du spectacle : porteurs d'haltères, clowns divers et variés, magiciens, contorsionnistes, personnages du cinématographe, musiciens de Jazz... La maison Roullet-Decamps était d'ailleurs renommée  pour ses reproductions de célébrités du music-hall (comme Little Tich ou la danseuse Loïe Fuller).


 

Aux sources d'inspiration de la Charmeuse

 


 

 

Les longs reptiles fascinent les foules

(...non, ce n'est pas une contrepèterie)

 

[De gauche à droite : Le Bostock and Wombwell's Show Snake Charmer à Nottingham Goose Fair en 1924 ; Melle Cléo (du Ringling Brothers/Barnum and Bailey circus), le professeur Gilbert (de l'Evening Post) et Satan, le python noir réticulé ; Une charmeuse de serpent du Cole Brothers Circus vers 1935.]

 

Les montreurs d'animaux sauvages et exotiques sont courants depuis la plus haute antiquité. Auprès des empereurs romains et de leurs proches, dans les cours royales et princières d'Europe et d'ailleurs. La démonstration prenait souvent la forme d'un spectacle ou d'une danse, mais elle restait l'apanage des spectateurs fortunés.

 

La "démocratisation" des ménageries exotiques commence avec l'essor de la colonisation. Les marchands sont encouragés à importer des animaux rares, qui sont achetés par des particuliers ou par des cirques.

À partir du début du 19ème siècle, la fascination pour les reptiles de très grande taille, très présents dans l'imaginaire européen mais hélas peu courants sous nos latitudes, progresse et ne se dément pas.

Parallèlement, l'esprit scientifique propre à l'époque cherche à classifier ces espèces nouvellement découvertes. Les expositions d'animaux, dont le nombre s'accroît sans cesse, servent un double intérêt : divertir et instruire.  

 

C'est dans ce contexte que l'image de la charmeuse / du charmeur de serpent (au tournant du siècle, la plupart des charmeurs de serpent sont des femmes) fait son apparition.

Le Music-hall s'en empare vers 1880. Nala Damajenti (la charmeuse de serpents), trouvaille d'Edouard Marchand recruteur de talents aux Folies Bergère, fut semble-t-il une des premières à s'illustrer à Paris dans ce type de numéro.

 

Le spectacle présentait une femme sensuelle et peu vêtue, venue de "très loin" (exotique), domptant un animal "dangereux", qui est aussi un symbole phallique. Autant de raisons pour que Gaston Decamps, qui cherchait un modèle original autant qu'esthétique, l'immortalise.

Le numéro obtient un succès durable dans l'Europe entière, depuis la fin du 19ème siècle jusqu'aux années 1940.

 

Quelques charmeuses de Music-hall

 

[De gauche à droite : autchrome Lumière, 1903 ; Une charmeuse de serpent non identifiée du début du 20ème siècle ; Maude Chipperfield, 1927-1928.] 

 

Les noms des charmeuses de serpent s'égrènent, témoignant de la vitalité de ce genre : Ada Mae Moore, Maude Chipperfield, Hawaian Joe, Clara Jones, Srita Aspeitia, Rosina, Uno, Zoe Zobedia, Alma Janata, Ada Zingava, Zula Zelick, Amy Arlington, Sumitra, Millie Betra, Miss Mapille, Miss Ivis, Mrs. Allie Lewis, Messaouda, Zaza, Melle Octavia, Nala Damajenti, Millie Dorena...

 

La danseuse incarne la Femme dangereuse et attirante, et dans l'inconscient collectif (occidental), une image en miroir d'Ève séduite par le serpent : par un retournement thématique, le tentateur vétérotestamentaire devient celui qui est à son tour charmé. Le thème fait florès.

 

Le sculpteur Joseph Wind expose vers 1890 une sculpture en bronze qui inspirera sans doute plus qu'un peu le mécanicien Gaston Decamps : The Snake Charmer.

Le douanier Rousseau présente sa propre Charmeuse de serpent au salon de 1908.

Déesse aux serpents minoenne, découverte au début du 20ème siècle à Knossos, en Crète,

vers 1600 av. J-C (conservée au musée archéologique d'Herakléion).

 

Coïncidence piquante, c'est à peu près au même moment, que l'on découvre les premières statuettes crétoises de la Potnia Theron, la maîtresse des animaux qui, les seins nus, tient un serpent dans chaque main.

 

Les musiciens des années 30 sont encore inspirés par le thème, comme Teddy Powell pour sa composition jazzy  "Snake Charmer" (en 1937).

Mais il faut bien reconnaître qu'après 1940, même si le genre des charmeuses vivote encore, ce n'est plus du même niveau. On observe cependant aujourd'hui, une mutation énigmatique : ce sont à présent les oeuvres représentant Ève qui semblent s'inspirer des Charmeuses.

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commentaires

K
D\\\'abord je me presente: Je suis restaurateur en objets d\\\'art avec une habilitation des Musées de France et une de mes spécialités est la restauration d\\\'automates et autres mécanismes complexes. Je suis le responsable de la collection Nationale des automates à Souillac concernant leur conservation et restauration. Il est important de souligner que le corps de la charmeuse est pas constitué de carton buillie mais de veritable cartonnage ou en staff,une technique bien plus complexe et son aspect exterieur n\\\'est pas du a cette legendaire melange de guttapercha et autres materiaux "alchimiques" mais une technique encore bien particuliere de la putoisage de multiples couches de peinture à l\\\'huile sous forme de glacis donnant ainsi à l\\\'euvre son aspect de peau veritable.Les yeux sont en verre soufflé avec l\\\'incorporation d\\\'un cristalin dans la pupille. Ces materiaux et surtout techniques de fabrication sont aujourdhui quasi perdu et j\\\'emploi beaucoup de mon temps pou les rétrouver<br /> merci pour votre lecture
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N
Merci beaucoup d'avoir pris la peine de donner ces informations et de rectifier les imprécisions concernant les techniques de fabrication de ces très beaux automates. ^^
B
Déçu ? Jamais ! (juste un peu en retard, quelquefois ...)
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M
Hé ben ... mais où vas-tu chercher tout ça ? (et ne réponds pas "à Souillac" !).Encore une jolie lecture.
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N
Ben si à Souillac... et aussi sur Internet (Google is my friend). Déçu ?