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Faut-il snober le snob ?


Le snob aime paraître éclectique . Il ne prend pas grand chose au sérieux. D'ailleurs le snob préfère concentrer toute son intelligence sur des conneries plutôt que de mobiliser toute sa connerie sur des choses intelligentes. Sa patience a des limites... mais il ne faut pas exagérer. Il ne connaît aucune blague belge. Il est extrêmement prétentieux.
Bref, le snob est coupable.
15 août 2006 2 15 /08 /août /2006 14:37

 

 

Star sheep

 

"Si on devait imaginer la rencontre fortuite du petit prince, sorti de son désert, et de Zazie, sortie de son métro, le dialogue serait bref."

Jean-Louis Bory

 

"Plus périlleux, le double zeugma : Après avoir sauté sa belle-soeur et le repas du midi, le Petit Prince reprit enfin ses esprits et une banane. (Saint Exupéry, Ça creuse.)"

Pierre Desproges, Dictionnaire superflu (...), article "Zeugma"

 

 

Héros récurrent de notre enfance, faisant un retour tonitruant dans les médias, le Petit Prince de Saint Exupéry se décline aujourd'hui en opérette pop, en jeux vidéo ludo-éducatifs, en parfum, en puzzles, en pâte à sel, et que sais-je encore...

Question existentielle s'il en est : peut-on encore aimer ce texte au-delà d'un tel contexte ? Le snob ordinaire vous répondra de manière catégorique : non. Le snob pernicieux tiendrait peut-être le raisonnement suivant : si tout le monde aime une certaine idée que l'on se fait du Petit Prince - apparemment la plus fade et la plus niaiseuse possible -, le snob se doit d'aller apprécier, à contre-courant, des aspects méconnus voire inattendus de l'oeuvre ! Mais nous n'irons pas jusque là et vous laissons juge de la perversité de ce point de vue...

Il nous déplairait, certes, de nous acharner sur une oeuvre de moyenne renommée, mais il ne s'agit pas de n'importe quelle oeuvre : le Petit Prince est devenu une institution ! La snobiste que nous sommes se fait donc un devoir de le dénigrer.

 

 

Une certaine idée de l'enfance

 

 

D'abord, le Petit Prince prétend s'adresser aux enfants, auprès desquels l'auteur s'excuse au début de l'ouvrage pour l'avoir dédié à son ami Léon Werth, une grande personne. Comme pour se dédouaner, il finit par préciser qu'il s'agit de Léon Werth quand il était petit garçon. Voilà d'emblée sous quels auspices est placé le texte : destiné à l'enfant qui demeure en chacun de nous.

Pour bien montrer qu'il s'adresse à l'enfance idéale, le style et le registre adoptés par l'auteur sont "appropriés", c'est-à-dire assortis au public visé. Ainsi, les tournures sont d'une naïveté appuyée, par exemple : " Les grandes personnes ne comprennent jamais rien toutes seules, et c'est fatiguant pour les enfants, de toujours et toujours leur donner des explications...". Elles flattent les aspirations à la médiocrité des enfants : expliquer quelque chose de complexe est certes un exercice difficile, mais ne pas expliquer c'est surtout refuser de communiquer, ou pire, considérer que son interlocuteur n'en vaut pas la peine.

La syntaxe est artificiellement enfantine, faite de toutes petites phrases dont les sujets sont des pronoms démonstratifs : "Ce n'est pas une chose. Ça vole. C'est un avion. C'est mon avion." .

De répétitions insistantes : "Et il rit encore." (répété 4 fois) ; "Je ne te quitterai pas." (x3) ; "Moi je me taisais." (x4).
De répétitions inconsistantes :

"- Que fais-tu de ces étoiles ? - Ce que j'en fais ? - Oui.
 - Rien. Je les possède. - Tu possèdes les étoiles ? - Oui."
  

 
La structure narrative est construite en opposition : les grands d'un côté, l'enfant de l'autre.

Les "grandes personnes" ou "les hommes", qui font constamment contrepoint à l'innocence personnifiée, apparaissent toujours sous un jour défavorable (excepté l'aviateur qui fut par ailleurs une de leurs victimes : "J'avais été découragé dans ma carrière de peintre par les grandes personnes, à l'âge de six ans"). Elles sont toujours très "premier degré", regardent bêtement les choses avec leurs yeux, ont toujours besoin d'explications (Pourquoi s'embarrasser d'explications ? Pourquoi s'embarraser de l'héritage de Descartes, de Galilée, des Lumières, etc. ?), ne s'intéressent qu'à la géographie, à l'histoire, au calcul et à la grammaire. Elles sont toujours sérieuses, raisonnables, et découragent les vocations artistiques des enfants. C'est mal. 

 

C'est beau, c'est mystique... la communion des corps !

 

Une philosophie poussive

 

Mais que nous enseigne donc le petit prince ?


- Qu'il faut drôlement bien savoir dessiner les moutons, sinon il ne vous fichera pas la paix ?

Bon... mais plus sérieusement ? 


- Qu'il faut "trouver ce qu'on cherche" au lieu de "cultiver mille roses, de s'enfourner dans les rapides, de s'agiter, de tourner en rond"...

Oui, mais encore ?


- Que les adultes sont tous des ratés qui exercent des métiers à la con. En effet, rappelons qu'avant d'arriver sur Terre, le petit prince visite plusieurs astéroïdes où il rencontre des personnages "représentatifs" des activités des grandes personnes. Certains sont amusants, comme l'ivrogne (bien sympathique) qui justifie son penchant pour l'alcool par un raisonnement circulaire des plus tragiques, ou l'allumeur de réverbère dont le métier, qui consiste à allumer et éteindre l'éclairage public autant de fois que le soleil se lève et se couche, est présenté comme extrêmement poétique. D'autres sont carrément antipathiques, comme le businessman qui aime l'argent et les chiffres ou le géographe qui aime les preuves et les chiffres. Ils ont de toute façon en commun d'être des adultes très nuls qui ne comprennent rien au monde de l'enfance, ne pensent qu'à leur propre personne. À l'opposé, le petit prince va vers les autres, cherche à se faire des amis.

En ce sens, le Petit Prince apparaît comme un petit apologue gentillet, et on peut à ce titre le rapprocher de l'ouvrage de P.L. Travers (qui aimait d'ailleurs beaucoup le Petit Prince), Mary Poppins, dont le texte possède néanmoins une légèreté fantasque absente de celui de Saint-Exupéry, qui vire un peu trop souvent à la leçon de choses.


- Mais ce texte nous enseigne surtout (surtout !) que "l'essentiel est invisible pour les yeux", qu'on "ne voit bien qu'avec le coeur".
Voilà, la grande phrase est lâchée... jetée en pâture au lecteur nostalgique, avide de maximes au lyrisme suranné. Aaaaah, la cardio-vision ! Tellement pratique pour ne pas se tromper sur l'essentiel ! Et concrètement, ça donne quoi ? Une phrase un peu fourre-tout, sortie de son contexte, pour faire sentir aux autres que, nous, on a du coeur...  
 

Cependant, la tartine de saindoux en titane revient sans conteste à cette autre phrase du grand penseur canidé (N.D.A. : le renard) : "Les hommes n'ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n'existe point de marchands d'amis, les hommes n'ont plus d'amis." Ben oui, c'est tellement évident ! Qu'ils sont cons ces adultes ! 

 
 

 
Encore que le plus curieux demeure la relation à caractère masochiste que le petit prince entretient avec sa rose, "cette fleur est bien compliquée" qui veut constamment le tenir sous sa dépendance morale : "Alors elle avait forcé sa toux pour lui infliger quand même des remords". 

En effet, cet enfant qui s'enfuit de sa planète pour n'avoir plus à supporter les caprices de sa peste de rose, qui lui pourrit la vie il faut bien le dire, parvient après bien des pérégrinations sur la Terre, où il apprend le fameux secret du renard qui voulait être apprivoisé. Il se rend alors compte que l'important c'est la rose (chanson connue et fort à propos ici) et qu'il aime les rapports ambigus qu'il entretenait avec sa fleur : "Elle serait bien vexée, se dit-il, si elle voyait ça? elle tousserait énormément et ferait semblant de mourir pour échapper au ridicule. Et je serais bien obligé de faire semblant de la soigner, car, sinon, pour m'humilier moi aussi, elle se laisserait vraiment mourir ?", "Je suis responsable de ma rose". Au secours...

 

 

(à l'attention de ceux qui voudraient se retourner les boyaux, quelques sacs à vomi circulent dans la salle...)

 

Jardinez avec Prinçounet,
Étudiez les constellations avec le meilleur ami des étoiles,
Révisez votre géographie avec le petit blond à la tête de con.

 

Une oeuvre qui ne grandit pas

 

C'est vrai que nous avons un peu forcé le trait sur la critique du fond, cela est cependant justifié, ne serait-ce que pour renouveler le point de vue sur ce texte archi-rebattu. Parce que le plus délicat avec ce livre, c'est qu'on nous l'impose comme une sorte d'icône, une institution, un portrait de l'enfance éternelle autoproclamé (comme Peter Pan, que nous snobons également). Tout le monde a entendu parler du Petit Prince, même s'il ne l'a pas lu et, plus gênant, chacun y projette un peu ce qu'il veut.

Dans un tel cas de figure, le rayonnement sociologique de l'oeuvre doit également (malheureusement ?) être pris en compte dans la critique des qualités littéraires, car Vox populi et ses goûts lyophilisés dénaturent le message initial du Petit Prince (si tant est...). Devant cette merveille, pas moins de quatre obstacles s'opposent obstinément à notre béatitude.

 
Premier obstacle : tout ce qui aujourd'hui reprend l'image du petit prince (les produits dérivés) est laid. Hier encore nous pouvions acheter nos clopes avec un billet de cinquante francs à l'effigie du petit prince : classe et poétique, non ? 
Tout ce qui se répand devient vulgaire car pour plaire à tous, l'image poétique est caricaturée, réduite à son armature, et pour être comprise par tous, elle doit perdre son ambiguïté, sa complexité, son épaisseur. Bref, l'épaisseur (éventuelle) du texte se réduit à la squelettique minceur du papier pelure... ce qui n'est guère aguichant, avouons-le.

 

 

Sweet prince (en gerbicolor)

 

Deuxième obstacle : le Petit Prince est trop connoté, on le connaît avant de l'avoir lu, voilà le problème !

La laideur de l'imagerie produite par la postérité remplace dans les mémoires le texte véritable (qui déjà...). On ne peut plus évoquer ce petit garçon niais aux cheveux blonds sans que surgisse aussitôt sa ribambelle de préceptes pourraves, sa cohorte de grands yeux d'enfant ouverts sur le monde et sur la beauté des trucs, son ramassis de naïvetés sur l'enfance éternelle. Le petit prince voyage avec un trop lourd bagage, celui que ses lecteurs et admirateurs lui ont fagoté au fil du temps. Et si nous laissions passer quelques demi-siècles pour le redécouvrir dans sa nudité originelle ? peut-être alors lirons-nous ce chef-d'oeuvre avec le coeur (même s'il a été écrit avec les pieds) ?

 
Troisième obstacle : malgré lui, le Petit Prince est l'alibi de l'apathique du bulbe, celui qui se contente de peu, qui n'est pas curieux, qui se dit qu'il n'est pas un vieux con puisqu'il a su conserver son regard d'enfant (comprenez : j'ai un exemplaire du Petit Prince sur mon étagère). En lisant (dans le meilleur des cas) le Petit Prince, en l'offrant à sa descendance, il croit avoir payé le tribut de l'enfance et du même coup croit avoir transmis des "valeurs" à sa progéniture.


Quatrième obstacle : ce texte est déprimant par son ambiance générale qui manque de joie de vivre, par l'omniprésence de la nostalgie sans autre raison que de préfigurer la mort du garçon. Tout cela nous plonge dans une mélancolie vaine. Que voulez-vous, les temps sont durs ma p'tite dame !

 
Allez, pour se faire plaisir, réécoutons le dernier couplet du « Retour de Gérard Lambert » (Renaud).

"Alors d'un coup de clef à molette,
bien placé entre les deux yeux,
Gérard Lambert éclate la tête,
du petit prince de mes deux.
(...)
C'est la morale de ma chanson,
moi j'la trouve chouette.
Pas vous ? Ah bon !"


Puis revoyons-nous la célèbre Minute nécessaire de Monsieur Cyclopède (P. Desproges) et, nous aussi, "remettons le Petit Prince à sa place".

 

 

 

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commentaires

R
Bonjour...Que vous parlez bien (pour ne pas dire autre chose), et que vous avez de grandes dents (pour ne pas dire autre chose).Ok vous n'aimez pas le Petit Prince, libre à vous... Mais à quoi sert de faire un article sans substance, avec plein de beaux mots à jeter à la g....  du lecteur, pour finir par ne rien dire et laisser parler deux personnes qui -en n'utilisant pas forcement vos beaux mots- arrivent à enfin dire quelque chose?!Vous qui savez si bien critiquez, accepterez-vous la critique sur votre site?Demain je lirai un peu plus votre site... je penserai à vous dans ma prière du soir (MDR), espérant que le reste n'est pas du même acabit...bonsoir!
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P
A la recherche d'articles de ce type sur le Petit Prince (qui ne sont pas légion), je suis content de tomber sur votre analyse. Il y aurait tant à dire dans ce sens. Je ne sais pas si votre blog "opère" encore. A bientôt peut-être. Ph L.
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N
<br /> Si, si, ce blog bouge encore ! Merci pour votre soutien. La plupart des visiteurs qui atterrissent ici cherchent des informations sur le petit blond : m'est avis qu'ils doivent se trouver fort<br /> désappointés ^^<br /> <br /> <br />
N
Ah la la ! Coelho... encore tout un programme ! ^^
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C
Le Petit Prince, aujourd'hui, aurait été écrit par paulo Coelho.
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B
En rapport direct avec le propos tenus ici, cet article : http://seuleaumonde.over-blog.com/article-3439807.htmlPS : le tracback foireux est de moi, je n'ai pas encore vraiment compris la manière dont ça marchait ....
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