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Faut-il snober le snob ?


Le snob aime paraître éclectique . Il ne prend pas grand chose au sérieux. D'ailleurs le snob préfère concentrer toute son intelligence sur des conneries plutôt que de mobiliser toute sa connerie sur des choses intelligentes. Sa patience a des limites... mais il ne faut pas exagérer. Il ne connaît aucune blague belge. Il est extrêmement prétentieux.
Bref, le snob est coupable.
21 décembre 2007 5 21 /12 /décembre /2007 14:20

 

Le nonsense peut-il impunément traverser la Manche, le Rhin et l’Elbe ? L’adaptation cinématographique du texte de Charles Lutwidge Dodgson (alias Lewis Carroll) par le Tchèque Jan Svankmajer nous permettra certainement de répondre à cette question...

 

Alice de Jan Svankmajer : Where is my Mind ?

 

 

Dès le début du film, nous sommes avertis par la voix d’une petite fille : « Un film pour les enfants... peut être... Peut être, si l'on se fie au titre. Pour cela, il faut fermer les yeux. Sinon, vous ne verrez rien du tout ».

On s’essaye à fermer les yeux pour voir au-delà des objets du quotidien, et s’ils prennent vie, c’est qu’on accepte de fermer les yeux sur une certaine absence de logique. C’est un rêve.

 

 

Rêve ou cauchemar ?

 

L’univers de l’histoire est construit par un ensemble d’oppositions simples (intérieur / extérieur, grand / petit, ouvert / fermé) qui ne coïncident jamais, tant leurs variables semblent difficiles à paramétrer, donnant lieu à des obstacles continuels pour Alice : « les objets ont un esprit », oui. Un esprit pervers.

Comme Carroll, Svankmajer construit un monde à l’envers qui n’est jamais remis à l’endroit, un monde qui échappe à toute cohérence. Dans ce monde, on grandit et rapetisse sans aucune logique, sans respecter les proportions, ni même les rapports existants entre les choses. Quand Alice mange alternativement d’un champignon qui fait grandir et d’un champignon qui rapetisse, on voit à l’image les sapins qui se trouvent dans la pièce pousser et rétrécir sans que la chambre elle-même ne change de dimensions. Les liens logiques du rapport de proportion (qui consiste à poser comme équation : si je suis plus petite, alors nécessairement mon environnement me paraîtra plus grand) sont ici complètement faussés.

 

S’il semble que l’histoire n’obéit pas à notre logique, ce n’est pas qu’elle en est dépourvue : les idées s’enchaînent suivant leur logique propre. Par exemple, considérons qu’une chenille est une chaussette qui prend vie et fait des trous dans le plancher. Si une de ces chenilles, mettons le ver à soie par exemple, devait, pour une raison ou une autre, parler à Alice, il faudrait impérativement qu’elle soit une chaussette possédant des yeux et une bouche. Où les prendrait-elle ? Forcément dans un tiroir, d’où elle tirerait un dentier et deux yeux qu’elle ajusterait sur les trous qu’elle aurait préalablement ménagés au « talon » et à l’extrémité du « pied ». Si, quand la chenille a fini de parler, elle s’endort, comment refermer ces trous quand on est une chaussette ? En les raccommodant avec du fil, tout simplement… etc.


 

On cherche une chenille-chaussette sachant chanter :

"Tell 'em a hookah smoking caterpillar

has given you the call.”


 

Le Merveilleux domestique

 

Le texte de Lewis Carroll était déjà en soi un jeu de langage permanent, le film de l’animateur tchèque propose un jeu d’images, qu’il souhaite comme des équivalents aux expressions du nonsense britannique.

La difficulté du support filmique, c’est qu’il faut donner corps, ou plutôt apparence de corps, à des idées. Comment rendre visuellement le champignon ou la potion dans la fiole ? Imaginer un vrai champignon, vivant, et même très coloré, oblige automatiquement à « inférer » le monde qui a produit ce champignon : un monde à l’avenant, merveilleux et délirant (du type Disney). Idem pour la fiole : aura-t-elle l’air magique ?

Svankmajer ne se pose pas ce genre de questions. Alice est un rêve et le rêve repose sur le matériau de la réalité, privé de sa logique diurne. Le réalisateur prend donc les objets à sa disposition pour en faire les éléments merveilleux de son histoire. Une poignée de tiroir en bois, qui a vaguement la forme d’un champignon, servira de champignon. Une bouteille d’encre d’écolier (il y en a plein la maison) servira de fiole magique.

Un simple tiroir et l'aventure commence : — Hey, I can’t find bottom!



 

Jeux interdits : une vision fantasmagorique de l’enfance

 

Dans l’imaginaire de la petite fille, la question de l’identité se manifeste sous la forme d’un jeu de poupées. Pour Svankmajer, la question de l’identification à la poupée est prise au pied de la lettre : devenir poupée ou faire de la poupée une petite fille. Ce jeu de transfert se mêle bien sûr au jeu sur les échelles et autres proportions, histoire de brouiller encore les repères.

Première scène : Alice est au bord de l’eau avec sa nourrice. Elle jette des cailloux dans le liquide. Peu après dans le film, Alice reproduit cette scène en transposant les personnages : petite fille et nourrice sont des poupées (changement d’échelle), tandis que les cailloux (taille réelle) sont jetés dans une tasse pleine de thé.

 

Au cours du film, quand Alice rapetisse, c’est pour devenir poupée (vêtue de la même manière qu’elle, blonde également) ; grande, Alice reprend ses traits d’enfant, sauf une rare fois où elle devient une poupée géante, sorte de sarcophage d’où la petite fille doit s’extirper en lui déchirant les entrailles.

Doll in a girl house or Girl in a dollhouse ?


 

Une autre obsession récurrente de l’enfance, le jeu avec la nourriture. Alice, curieuse de nature et désinhibée dans son expérience onirique, expérimente tout :

 - goûter les choses interdites : l’encre, la sciure qui s'échappe du lapin blanc…

 - mêler nourriture et objets : dans la scène du thé chez le chapelier fou, le lièvre de mars tartine du beurre sur des montres à gousset, puis les accroche au poitrail du chapelier, ainsi que des médailles.

En contrepoint, on a beaucoup d’images de « dévoration » où la petite fille est engloutie, notamment par un tiroir.

 

Quant à transgresser les interdits, Alice ne fait que ça :

 - suivre un lapin qu’elle ne connaît pas.

 - ouvrir les tiroirs et prendre ce qu’elle y trouve

 - s’obstiner à ouvrir les portes qui lui sont fermées…

 

Svankmajer montre une image atypique de l'enfance, à l'opposé des habitudes, à l'opposé même de l'héroïne de Carroll. On voit une petite fille à l'imagination débridée, téméraire, un peu cancre, aimant l'exploration – de préférence salissante – des terriers imaginaires, curieuse de tout ce qui se touche et se mange – et en cela assez libre pour dynamiter les codes de la bonne éducation.


 

Littérature anglo-saxonne vs cinéma tchèque : un film moins intellectuel, plus organique.

 

L’interprétation de l’univers de Lewis Carroll peut être légère, grotesque ou au contraire cauchemardesque, angoissante.

On retrouve chez Svankmajer les principaux épisodes de l'Alice original : le lapin blanc, qui est poursuivi par Alice tout au long du film, la mare aux larmes, la Mad Tea Party chez le lièvre de mars, la cuisinière et le bébé, la chenille, le jeu de cartes et le procès (notons en revanche un grand absent, le chat du Cheshire).

Très proche de l’esprit du britannique quand il voit en Alice une petite fille curieuse qui s’ennuie, Svankmajer s’écarte de l’œuvre modèle quand il ôte à la narration sa malice et son humour, et lui confère au contraire un aspect horrifique. 


 

Chez Svankmajer, le lapin blanc est empaillé :

vous reprendrez bien un peu de sciure ?

 

Tous les passages (très) connus sont revisités sous la forme de petites saynètes macabres, ou drolatiques, dont l’aspect horrifique repose sur trois piliers :

 

 - Les sons grinçants qui mettent mal à l’aise (par exemple les incisives du lapin blanc, que la manducation racle les unes contre les autres)

 - L’usage de toute une panoplie d’éléments ayant trait à la mort ou au morbide (squelettes, chair de viande, insectes) à la base d’assemblages farfelus : un crâne d’animal ajusté sur un corps de poulet mort non encore déplumé, rappelant les compositions drolatiques et grotesques de la Renaissance mais en plus concret (voyez par exemple les Songes Drolatiques de Pantagruel, un recueil de gravures paru en 1565).

 - Une forme de fascination pour la destruction, le sale, le cassé, l’usé, tout ce qui peut nous rappeler à notre condition d’humains soumis au temps. Rien n'est mignon ou attendrissant. « Ce qui m’intéresse, ce sont les imperfections de la matière car c'est ce qui rend les films subjectifs. », nous rappelle Svankmajer.


 

Alice, (titre original : Neko z Alenky) est un film que caractérise un « surréalisme sarcastique », comme Svankmajer le définit lui-même. Avant tout, c’est une aventure livresque revendiquée : n’y cherchez pas de voyage, seulement un jeu d’enfant, qui ferait un peu l'effet d'une tisane au peyotl.

"Alice appartient à ma mythologie. Je tournais autour de ce roman depuis longtemps [...] Ce n'est que plus tard que j'ai eu le courage de me mesurer au vrai Alice. Je devais affronter également les interprétations d'Alice déjà existantes. La plupart du temps on le présente comme un conte pour enfants. Pour moi ce n'est pas un conte de fées mais un rêve".

J.SVANKMAJER, in Positif n°345, 1989.


 

À noter : Tim Burton devrait tourner son adaptation d'Alice aux pays des merveilles, utilisant la technique dite de Performance Capture (déjà employée par Robert Zemeckis). Le tournage est prévu de janvier à mai 2008, le film sera présenté en salles en version 3-D pour une sortie en 2010 (Source : Allocine).
 

 

 

 

 

 

 

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commentaires

S
Déroutant et hypnotique... oui, ça résume assez bien l'impression générale. ^^ Soupoudré allègrement d'un humour étrange bien sûr.
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S
On dit citer, pas siter, imbécile.
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N
Comme tu as raison de te méfier des lapins !!! Ce sont sans doute les créatures les plus flippantes de l'univers (il n'y a qu'à regarder le documentaire sur le Graal tourné par les Monty Python pour t'en convaincre)^^. Pour revenir à Alice, il n'est pas vraiment anxiogène mais, parce qu'il est plus long que les autres films de Svankmajer et qu'il nous plonge donc plus longuement dans cette ambiance un peu morbide, il parvient à créer un décalage avec la réalité qui dure quelques heures au-delà du film (il m'a fallu un certain temps pour "revenir"). J'ajoute que la technique d'animation doit être en grande partie responsable de ces impressions.Si ça t'intéresse, voici le lien vers un court-métrage d'animation du même réalisateur qui est également déroutant (autant qu'hypnotique) : http://www.dailymotion.com:80/tag/jan+animation/video/xdtfu_svankmajer-jeu-virilmusne-hry_shortfilms
S
Ca site du Jefferson Airplane par ici, je ne puis rester de marbre. Ca m'a l'air d'être un drôle de film, le lapin me terrorise rien qu'à le voir en photo, ça me rappelle une peluche de lapin qui était toujours enfermée dans un placard chez mes grands-parents, et qui me filait une frousse bleue.Bref, c'est ma vie en même temps, mais le détournement des objets mignons et chaleureux de l'enfance en personnages glauques et dérangeants (et dérangés) est toujours très efficace quand il s'agit de susciter la peur. En tout cas moi ça me met bien davantage mal à l'aise que des litres d'hémoglobine.
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B
C'est pas sympa de publier le jour où je prends le train ! :-DM'enfin tu es pardonnée, c'est un excellent article ...
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N
Merci brendufat :-) <br /> Une bonne année à toi, productive et optimiste, à l'image de ton blog.